4. Baptiser enfant ou adulte ?
Frère Thomas Carrique : On entend souvent des parents qui préfèrent que leurs enfants demandent le baptême eux-mêmes… Au fond, le baptême des petits enfants, on en revient.
Sœur Anne-Claire : Moi, quand tu me poses cette question-là, je ne peux m’empêcher d’entendre Jésus dire à ses apôtres :
« Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi, parce que le Royaume de cieux est pour ceux qui leur ressemblent » (Matthieu 19, 14).
Cet amour inconditionnel de Jésus pour les enfants serait une réponse à ta question. Et nous pourrions en rester là, mais ce serait trop facile.
Fr. Thomas : Jésus a raison, il faut laisser les petits enfants venir à lui. Mais les adultes alors ? Eux aussi… eux surtout ? Car n’ont-ils pas l’avantage d’avoir l’usage de leur raison, et de pouvoir décider par eux-mêmes - ce qu’un nourrisson ne saurait faire? D’ailleurs, saint Pierre écrit dans sa lettre :
« Le baptême est l’engagement envers Dieu d’une conscience droite. » (1 Pierre 3, 21)
De plus, puisque les adultes ne sont plus des petits enfants depuis longtemps, c’est le baptême lui-même qui leur donnera de leur ressembler, non pas en “régressant”, mais en… “renaissant”! A Nicodème, qui demandait comment « un homme pouvait naître quand il était vieux », Jésus répondait : « Personne, à moins de naître de l’eau et de l’Esprit, ne peut entrer dans le royaume de Dieu » (Jean 3, 5). Or il n’y a pas d’âge pour renaître : il n’est jamais trop tard pour se faire baptiser ! Alors que parfois, on se dit qu’il est un peu tôt…
Avoir l’intention
Fr. Thomas : Pour être baptisé de manière efficace, il faut avoir l’intention d’être baptisé. Mais les bébés n’ont pas vraiment d’intentions très marquées, ils n’ont certainement pas l’intention d’être baptisés. A priori, ils ne peuvent donc pas être baptisés.
Sr Anne-Claire : En effet, l’argument est important. Pour y répondre, saint Thomas, au Moyen âge, s’appuie sur un autre théologien, saint Augustin, dans l’Antiquité.
Le baptême apporte une nourriture spirituelle qui peut être comparée à la nourriture terrestre. Or, dans le ventre de leurs mères, les bébés se nourrissent grâce à la bouche de leur mère. De la même manière, les enfants qui reçoivent le baptême, peuvent recevoir la nourriture spirituelle qu’apporte le baptême, par la bouche de l’Eglise.
Être porté par l’Eglise
Fr. Thomas : L’image de l’Eglise comme une mère, c’est un peu étrange, mais cela a le mérite de nous rappeler que l’Eglise, c’est d’abord les chrétiens autour de nous.
Mais qu’en est-il des petits enfants dont les parents ne sont pas chrétiens, ou des orphelins ?
Sr Anne-Claire : En effet, l’Eglise, ce ne sont pas seulement les parents, c’est aussi l’ensemble des croyants et la communion des saints. Saint Thomas a une belle formule :
« Mais la foi d'un seul, ou plutôt la foi de toute l'Église, sert à l'enfant par l'opération du Saint-Esprit qui fait l'unité de l'Église. » (Somme Théologique, IIIa, Qu.68, art.9).
D’ailleurs, le rite d’entrée dans l’Eglise prend tout son sens quand il a lieu pendant la messe dominicale. N’est-ce pas par le baptême qu’on franchit leur seuil et qu’on entre dans l'Église ?
Avoir la foi
Fr. Thomas : Ok, mais il y a autre chose. On considère que le baptême est le “sacrement de la foi”, c'est-à-dire le signe que Dieu donne la foi. Saint Marc nous disait que « Celui qui croira et sera baptisé sera sauvé » (Marc 16,16), cela peut vouloir dire que le baptême est le signe extérieur de la foi. Or les petits enfants n’ont pas la foi. En effet, la foi est un acte volontaire.
Sr Anne-Claire : En fait, pour répondre à cette objection, on va dire que les enfants croient par les autres. Par le baptême, il y a une solidarité mystérieuse entre les chrétiens et le Christ.
C’est saint Paul qui en parle le premier. Il remarque que de même que, en Adam, il y a une solidarité mystérieuse entre les hommes dans le péché originel et la mort, en Jésus, il y a une solidarité mystérieuse dans la vie, la grâce et la justice.
« Si, en effet, à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la mort a établi son règne, combien plus, à cause de Jésus Christ et de lui seul, régneront-ils dans la vie, ceux qui reçoivent en abondance le don de la grâce qui les rend justes. » (Romains 5, 17)
Jésus peut donner la foi et la grâce à tout le monde, mais, comme il l’a dit en saint Jean, il le fait par la grâce de l’eau du baptême
« Nul, s'il ne renaît de l'eau et de l'Esprit Saint, ne peut entrer dans le royaume de Dieu. » (Jean 3, 5)
Recevoir la foi
Fr. Thomas : Alors que pour l’adulte, personne ne le force : c’est lui qui choisit d’aller vers le baptême, comme un grand ! Cela dit, force m’est d’avouer que, même si l’adulte est en effet assez mûr pour avoir la foi par lui-même, celle-ci reste toujours… un don de Dieu. C’est-à-dire que, pour que quelqu’un ait foi en Dieu - et une foi telle qu’on désire recevoir son baptême - nécessairement, il faut que Dieu ait d’abord touché cette personne au point qu’elle croie en Lui. On ne désire pas être sauvé par un Dieu invisible si l’on n’a pas reçu d’abord la grâce de reconnaître en Lui le Sauveur. Cela, il faudrait que même les parents incroyants qui font baptiser leurs enfants le sachent ! Comme le père qui s’écriait devant Jésus, pour que celui-ci sauve et guérisse son enfant :
« Je crois ! Viens au secours de mon manque de foi ! » (Marc 9, 24)
Choisir le bien
Fr. Thomas : Tu dis que les bébés peuvent recevoir le baptême, même s’ils n’en ont pas vraiment la volonté, et même si ils ne croient pas. Mais quand on est baptisé, on renonce aussi au mal et on s’engage dans le bien. Or, les bébés n’ont pas la conscience du bien et du mal.
Sr Anne-Claire : La réponse de Thomas peut nous surprendre, car cette bonne conscience, c’est justement par le baptême que l’enfant va la recevoir. L’enfant n’est pas plus intelligent après le baptême, mais il reçoit une conscience du bien et du mal qui se développera ensuite.
Le bien, un chemin
Fr Thomas : Bon, d’accord pour dire que l’enfant est réellement purifié et sauvé dans le baptême, indépendamment de sa volonté et sa foi. Mais quid de la suite ? Le baptême n’est-il pas trop grand pour qu’on le donne à quelqu’un qui, le jour où il sera en âge de le comprendre, en fera peut-être n’importe quoi ? Est-ce que cela ne lui donne pas une trop grande responsabilité, et le risque d’aggraver son cas ?
L’adulte, lui, au moins, a parcouru un long chemin jusqu’à se faire baptiser ; c’est souvent l’histoire d’une vie ! Il mesure davantage la grandeur du don du baptême qu’il reçoit. Cela dit, j’avoue que cela ne le met pas à l’abri d’agir à l’encontre de cette faveur que Dieu lui a faite. D’ailleurs, c’est pour cela que l’Eglise donne les autres sacrements, c’est toujours par rapport au baptême, soit pour le renouveler, soit pour lui faire donner tous ses fruits en fortifiant le baptisé : ainsi, la confirmation nous établit dans l’Esprit, la communion nous donne Jésus lui-même dans son Corps et son Sang, et le sacrement du pardon nous remet dans l’état de grâce originel du baptême, que l’on avait abîmé. Dieu n’est pas avare de ses dons : c’est cela, la sainteté, c’est être si proche de Dieu, trouver en Lui un tel ami, que l’on reçoit tout de Lui, et qu’on finit par lui ressembler ! Saint Jean exprime merveilleusement bien cette condition existentielle du baptisé :
« Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons : quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. » (1 Jean 3, 2)
Sr. Anne-Claire : Ce que je retiens, c’est qu’il n’y a pas à choisir entre un âge et un autre pour le baptême. Il n’y a pas un baptême meilleur que l’autre, plus cohérent ou plus complet, plus précoce ou plus sûr… Il n’y a qu’un seul baptême, donné par Dieu aux hommes en vertu de son amour incroyable pour chacun d’entre nous.
Après, que l’on soit bébé ou adulte, le baptême, c’est l’affaire de toute la vie ! la vie avant la mort, la vie après la mort… la vie avec un grand V. On ne pourra jamais “épuiser” toutes les richesses de l’amour de Dieu, et celles-ci prennent leur source dans le bain du baptême. Après tout, Jésus n’a pas attendu son baptême adulte pour être rempli d’Esprit Saint : cela, il l’était depuis toujours, et donc dès sa conception. Marie non plus n’a pas été “immaculée” seulement à partir de 6 ans, l’âge de raison : elle l’a été depuis toujours, par la grâce de son Fils. Jean le Baptiste (expert en baptême) a dansé dans le ventre même de sa mère, visité par l’Esprit à l’approche de Marie enceinte de Jésus!
Ainsi, pour recevoir le baptême, il n’est jamais trop tard, et jamais trop tôt!
Les questions du Moyen-Age
Sr. Anne-Claire : Dans cette vidéo, on a repris les arguments et contre arguments qui existaient au temps de saint Thomas d’Aquin et qu’il présente dans sa Somme théologique, dans la III° partie sur le Christ et les sacrements, dans la question 68 sur « qui peut recevoir le baptême ? ».
Fr. Thomas : Il reste sûrement des objections, sinon, tout le monde baptiserait les enfants. Mais avec cette vidéo, on comprend comment on faisait de la théologie au siècle où on construisait Notre Dame de Paris. On essayait de répondre aux objections en comprenant l’Ecriture Sainte en profondeur.
Sr. Anne-Claire : Dans les articles suivants, Thomas continue à poser quelques questions : « Peut-on baptiser les enfants de non-chrétiens ? » Il va démontrer pourquoi on ne peut pas baptiser un enfant contre l’avis de ses parents. Il prend l’exemple des enfants de familles juives, qui ne doivent pas être baptisés sans l’accord des parents.
Fr. Thomas : « Peut-on baptiser un enfant avant la naissance ? » Non, car le baptême est une seconde naissance.
Sr. Anne-Claire : « Peut-on baptiser les personnes qui n’ont pas toute leur tête ? »
Fr. Thomas : Oui, car ils sont comme les enfants qui reçoivent le baptême.
Sr Anne Claire : Bon courage, allez lire « la Somme » ...
sœur Anne-Claire Dangeard
Sœur Anne-Claire est dominicaine de la Congrégation Romaine de Saint Dominique. Après quelques années au couvent de Poitiers, d'où elle était responsable des Médias à la Conférence des religieux et religieuses de France, elle est depuis 2021 prieure du couvent de Nancy et en charge de la proposition "Carême dans la Ville". Elle accompagne des groupes de jeunes en pastorale, notamment à travers l’animation d’ateliers d’écriture d’icônes.
frère Thomas Carrique
Frère Thomas Carrique enseignait le français avant d'entrer dans l'Ordre. En 2023, il est frère étudiant au couvent de Lyon.
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