5. Les baptêmes improbables
Actuellement, je suis responsable de la pastorale universitaire à l'université de Louvain-la-Neuve en Belgique où j'ai la responsabilité particulière du catéchuménat, donc du baptême, de toute une série de personnes, qui s'approchent de la Foi. Et donc chaque année nous avons entre 10 et 15 étudiants qui reçoivent la grâce du baptême et de la confirmation. Pendant une quinzaine d'années, j'étais aumônier de prison et là, chaque année, nous avions une dizaine de détenus qui recevaient le sacrement du baptême et de la confirmation. Et dans le secteur de la prostitution, je suis aussi engagé à titre volontaire ; il y a plusieurs personnes qui ont suivi un chemin catéchuménal, soit de manière isolée, soit parfois avec un enfant.
Le baptême en prison
En fait quand vous êtes en détention pour une très longue période, vous avez largement le temps de vous interroger. Vous commencez à perdre des gens à l'extérieur. On perd une maman, on perd des proches. Il n’y a plus personne qui vient vous visiter. Et donc surgit au fond de l'âme toute une série de questions que j'appelle des « questions limites » : la question de la souffrance, la question de la mort et parmi les questions limites il y a la question de Dieu. Et c'est dans le cadre de cette question de Dieu, que certains d'entre eux se disent : « En fait c'est possible que j'ai fait des choses qui sont tellement graves et dont je perçois la gravité aujourd'hui au cœur de ma détention, qui font que je ne peux pas rester comme ça. »
Quelqu'un qui décide de s'approcher du baptême dans une prison de longue peine, c'est quelqu'un qui a perçu la gravité de son action, la gravité de l'état de vie qui était le sien avant la détention. Et qui, au fur et à mesure de la détention s'est approché suffisamment de la question de Dieu et de Dieu lui-même, pour que naisse chez lui quelque chose qui le décide à aller plus loin, de rechercher profondément comment vivre d'une manière qui soit juste devant Dieu.
Il n’y a plus grand monde autour de soi après 10, 15, 20, 30 ans, 35 ans de détention. Il n’y a plus grand monde. On est seul, mais aussi seul face à Dieu. Et je crois que la personne de Dieu, c'est le seul peut-être qui n'abandonne vraiment personne. Au cœur de la détention, dans le fond chaque mur lance comme un bruit sourd qui est : « Qui pourra me pardonner ? Qui pourra me pardonner ce que je n'arrive pas à me pardonner à moi-même ? » Et seul Dieu peut faire ça.
Souvenir d’une conversion en prison
Ce que le baptême a changé, c'est d'abord le fait de pouvoir approfondir cette décision. C’est d’abord le fait de se rapprocher de Dieu et de découvrir qu'il est possible que quelqu'un vienne vraiment. Donc il y a des expériences mystiques de détenus. Pour certains d’entre eux, j'estime que Dieu est venu les chercher.
Je me souviens d'un musulman dont la fenêtre de sa cellule était devenue en pleine nuit, comme une porte-fenêtre, tout à fait lumineuse. Tout ce qu'il savait durant cette nuit-là, c'est que c'était Jésus. Et lorsqu'il a demandé à l'aumônier de recevoir le baptême, l'aumônier lui a dit que ce n'était pas possible parce qu'il était d'origine musulmane. Et quand il est arrivé dans notre prison, évidemment, on a pu donner suite.
C'est quelque chose, c'est une démarche qui coûte cher... Quand on était musulman d'origine et qu'on devient chrétien, cela veut dire qu'on ne peut plus circuler de la même façon dans la prison. On risque pas mal d'ennuis dans un préau, dans les lieux communs. C'est une question qui est extrêmement délicate. Ce n'est pas une conversion de surface. C'est quelque chose qui engage jusque dans le concret de la vie en détention. Et elle va être longue quand on est à perpétuité, cette détention, très longue...
Autrement dit, il ne s'agit pas de transformer les conversions qui sont vécues en prison, comme quelque chose qui est une sorte de baume au cœur, de gens qui cherchent un pardon et qui essayent de le trouver facilement. Très loin de là.
La foi des personnes qui se prostituent
Une personne qui se prostitue la plupart du temps (pas toujours, mais la plupart du temps) en fait, perçoit qu'elle est jugée par l'ensemble de la société comme n’étant pas à une place correcte (entre guillemets). Et c'est quelque chose qui nous rend en fait très proche nous, comme religieux... Nous sommes atypiques à notre manière. Ce n’est pas la même chose, mais en fait il y a comme une proximité entre les personnes prostituées et les religieux. C'est l'expérience que je fais absolument quotidiennement.
Le 13 mai, il y a quelques jours, une des personnes prostituées a demandé qu'on fasse un pèlerinage à Banneux. C’est un lieu d'apparition mariale, comme Lourdes. Nous avons vécu un pèlerinage à Banneux avec un ensemble de personnes qui continuent à se prostituer. D'autres pèlerinages sont faits avec des personnes qui ont quitté la prostitution.
La sortie de la prostitution et le baptême
Pour celles qui demandent le baptême actuellement, ce sont essentiellement des personnes qui ont eu un passage en prostitution parfois très long, des dizaines d'années parfois, mais qui ont perçu, à leur sortie de prostitution, que s'approcher de Dieu, c'était naturellement tourner le dos à la prostitution. Elle ont perçu que si Jésus ne jugeait pas une personne prostituée, peut-être qu’il était capable, tout de même, de dire que la prostitution n'est pas un bien tellement durable, qu'il aura sa place au paradis par exemple. La personne prostituée, c'est une personne qui perçoit que la grâce de Dieu est aussi pour elle. Une fois qu’elle a quitté la prostitution, le chemin de conversion peut aller jusqu'au baptême et à ce pardon total du péché.
Alors si on regarde notre approche chrétienne, on peut se dire quand Jésus parle de la prostitution, Il dit que « les prostituées vous précèdent au Royaume des Cieux ». Non pas parce qu'elles sont prostituées... Elle nous précèdent parce que peut-être qu'il y a chez elle une certaine forme d'humilité. J’ai pu le voir, souvent les personnes prostituées sont très peu jugeantes. Elles vont dire un avis et puis elles vont ajouter : « enfin qui suis-je pour juger ».
Clients et proxénètes
Les clients parfois sont victimes d'addiction. Ils sont victimes de difficultés personnelles, sociales, psychologiques, qui remontent à l'enfance. Voilà des gens qui ont besoin de soins, du soin que Dieu peut donner.
On voit Jésus qui raconte l'histoire de l'enfant prodigue, ou du père prodigue. C’est l’histoire de celui qui a tout dépensé avec des filles, comme il est écrit dans le chapitre 15 de saint Luc, et qui revient vers le Père. Il n'a même pas le temps de s'expliquer, que le père tue le veau gras et court à sa rencontre. C'est aussi la responsabilité que nous avons, de courir à la rencontre de ceux qui cherchent une conversion spirituelle.
Il en va de même pour les proxénètes qui sont des criminels. Ces criminels dont nous venons de parler pour le baptême. Parmi eux, parmi les proxénètes, il y en a qui ont reçu le baptême, qui sont ou qui ont été accompagnés dans une démarche catéchuménale. Ces proxénètes, ce sont ceux qui, à la droite et à la gauche du Christ, sur la croix, pour certains d'entre eux, ne vont rien reconnaître, et pour d'autres vont dire : « souviens-toi de moi quand tu viendras inaugurer ton Règne ».
Et c'est là, je crois, notre responsabilité dans le catéchuménat. C'est de voir que dans un domaine aussi à la marge que celui de la prostitution, se trouvent uniquement des personnes pour qui le Christ a donné sa vie.
Les étudiants et le baptême
Il y a toute une série d'étudiants qui, en fait, profitent de leur temps d'études pour se poser des questions qui avaient été abandonnées lors de l'adolescence. On va retrouver dans le catéchuménat étudiant, des gens qui en fait avaient oublié leur vie chrétienne, et puis qui la redécouvrent, et d'autres qui s'en approchent progressivement.
A la vie à la mort
Certains s'en approchent en ayant été « à la vie à la mort ». Je peux parler de l'une d'entre elles, parce que son témoignage est public. Elle avait voulu se suicider, et pour se suicider elle voulait se jeter sous un train. Et elle a été comme retenue intérieurement. Elle a perçu que cette retenue, c'était Dieu qui la sauvait, elle qui vient d'une famille athée. Et le lendemain elle a appris qu’un de ses meilleurs amis s'était jeté sous le train. Il était décédé et ça l’a marqué, ça la marque encore aujourd'hui, à chaque anniversaire de la mort de cet ami.
Elle a fait tout le parcours catéchuménal et a continué à s'approcher de Dieu. C'est quelqu'un qui fréquente même nos offices du matin et du soir quotidiennement au couvent de Louvain-la-Neuve. Cela veut dire qu’elle n’a pas simplement vécu un chemin vers le baptême mais qu’au-delà du baptême, sa foi est devenue quelque chose qui est constitutif de l'organisation même de sa journée d'étudiante : elle a rencontré le Christ.
Des baptêmes de musulmans
Chez les étudiants, il y a plusieurs musulmans qui se préparent au baptême et qui sont baptisés l'an prochain. Effectivement, la miséricorde de Dieu sur la croix c'est quelque chose. Le fait que le Père, le Fils et l'Esprit Saint sont Dieu, nous différencie radicalement d'un Dieu qui est beaucoup plus lointain. La religion, en soi, n'est pas grand-chose. Devant Dieu, les religions disparaîtront. Ce qui compte pour eux, c'est de rencontrer quelqu'un. Et ce qui fait qu’un musulman d'origine, demande le baptême, en définitive ce n'est pas une conviction sur des données intellectuelles ou rationnelles seulement, mais c’est davantage la rencontre avec Quelqu'un. Et lorsqu'ils ont perçu que Jésus était le Christ, à ce moment-là en fait, ils peuvent vivre un baptême chrétien sans aucune difficulté. Oui, il y a des difficultés familiales mais leur décision elle est bien assise. Ils savent qui est le Christ.
Le mot de la fin ?... Croyez en Dieu et Dieu croira en vous !
Frère Patrick Gillard
Frère Patrick Gillard a longtemps été aumônier en prison. En 2023, il vit au couvent de Louvain-la-Neuve, où il est aumônier d'étudiants. Il travaille aussi en proximité avec le monde de la prostitution.
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