11. Le baptême, ça change quoi ?
Au fond, à quoi bon le baptême ? Ou, dit autrement : en quoi le baptême est-il nécessaire ? pourquoi devrions-nous être baptisés pour devenir chrétiens ?
En effet, pour paraphraser Tertullien, il semble que nous ne naissions pas chrétiens, mais que nous le devenions.
Dieu a-t-il besoin du baptême ?
Dieu aurait-il besoin des « limites » du baptême pour nous donner son amour ? On pourrait se dire qu’Il s’enferme là dans des contraintes trop humaines pour Lui, au regard de ce salut divin qu’il nous donne avec le Christ. Et l’on peut aussi penser, angoissés, au sort éternel de ceux qui ne reçoivent pas ce sacrement et, devant cette question, être tentés de minorer la nécessité du sacrement.
En effet, si nous sommes déjà créés par Lui par amour et à son image, alors pourquoi en passer par le baptême dans notre rapport avec Dieu ?
Or on ne peut pas s’en passer, et je vais essayer de vous dire pourquoi.
Selon moi, l’essentiel à ne pas perdre de vue pour comprendre la nécessité du baptême se résume à deux choses :
Le baptême et le péché originel
Premièrement, certes, l’homme est créé à l’image de Dieu, mais attention de ne pas oublier le détail qui change tout et qui ne vous aura pas échappé : de fait, les hommes font le mal, ils ne sont pas naturellement saints, n’en déplaise à Rousseau, qui écrivait dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes que « l’homme est naturellement bon, pur, tel qu’il a dû sortir des mains de la nature » et que c’est « la société qui le déprave et pervertit ».
Non, l’homme a été créé bon par Dieu, mais ce n’est pas la « méchante société » qui l’abîme : c’est son propre péché, que nous avons tous en partage, et qui s’appelle le « péché originel » ; c’est inexplicable, mais on voit bien qu’on en hérite tous. Ainsi, tout homme a besoin d’être pardonné et sauvé, ce qu’on comprendra qu’il ne peut faire seul pour lui-même : ce n’est que Dieu qui peut s’en charger ; il ne nous laisse pas seuls dans notre péché, mais Il nous rejoint, se fait connaître, et nous sauve en nous montrant la voie de sa Vie, qu’il nous donne… dans le baptême !
Tertullien, dans son Traité du baptême, compare en ce sens les chrétiens à des petits poissons :
« Mais nous, petits poissons, nous naissons dans l’eau et ce n’est qu’en demeurant en elle que nous sommes sauvés » (I, 3).
Un don gratuit
Ensuite, ce pardon et ce salut sont un don absolument gratuit et inestimable de Dieu pour nous, la preuve de son amour, sans qu’on L’ait aucunement obligé à nous le donner par nos efforts ou notre belle personne : ce n’est pas une récompense, mais c’est LA grâce de Dieu, décisive, qui peut tout, c’est-à-dire sauver et transformer notre vie d’homme. Ne perdons pas de vue cet aspect de CADEAU absolu, qui n’est pas la récompense d’un travail, mais une grâce qui nous engage, et ainsi nous ne confondrons pas le baptême avec un tampon administratif donné après des démarches pénibles, comme une « régularisation » de papiers pour notre citoyenneté des cieux.
Recevoir le baptême, ce n’est pas se plier à une contrainte qui formerait un club restrictif de baptisés : c’est au contraire le moyen par excellence d’être rejoint par l’amour de Dieu qui veut se donner à nous tous, par les mains de l’Eglise et selon notre choix libre, pour notre pardon et notre vie éternelle bienheureuse.
Dieu donne à travers l’Eglise : les sacrements
Là où cela coince peut-être dans nos esprits, c’est cette disproportion entre le don gratuit et universel du salut de Dieu, et les limites humaines de sa réception par les mains de l’Eglise.
Eh oui ! c’est là le propre d’un sacrement. Un sacrement, c’est Dieu qui nous communique sa vie, par un moyen concret que son Eglise va mettre en œuvre. Ce n’est pas de la magie, c’est l’Esprit Saint en action, et cela est toujours fondé dans les évangiles et l’action du Christ pour nous. La seule source en est Dieu, mais il est pratiqué par des hommes pour des hommes, et il s’inscrit donc dans une certaine contingence historique. Croyons-en les évangiles et la vie de Jésus.
Dieu l’a voulu ainsi, Jésus ayant lui-même reçu un baptême et commandé que nous le donnions par toute la terre, et c’est un magnifique mystère, qui doit non pas nous inquiéter mais nous émerveiller, et nous engager à le perpétrer.
Les sacrements de Dieu, et en premier lieu celui du baptême, sont la rencontre de Dieu et de notre histoire, notre liberté d’individus, de peuple, notre choix, notre responsabilité : croyons-nous au Christ, et voulons-nous Le suivre dans son Royaume, dans sa victoire d’amour et de vérité sur le mal ?
Ainsi, tu le vois : si le baptême vient de Dieu, c’est en revanche l’homme qui vient librement au baptême, ou les parents pour leur enfant. Et un baptême reçu bébé peut rester lettre morte si celui qui l’a reçu, l’oublie ou le renie. Le baptême est, en même temps que le don le plus grand, notre plus grande responsabilité : celle du salut de notre âme. Dès lors, le baptême est bon à se déployer dans toute notre existence, chaque jour, dans notre cœur, notre esprit et nos gestes. Pas de limite à la bonté de ce don reçu : il s’agit désormais de le cultiver !
Le baptême nous change
Cela paraît trop simple. Comment un peu d’eau et quelques paroles pourraient-ils faire d’un homme un chrétien, en lui communiquant la vie de Dieu ? Tertullien en avait conscience, lui qui écrivait encore :
« Rien ne choque autant l’esprit des hommes que le contraste entre la simplicité apparente des œuvres divines et la grandeur des effets promis. (...) Sans autre luxe, l’homme descend dans l’eau (...) et en ressort à peine plus propre ou pas du tout. C’est pourquoi on trouve incroyable qu’il puisse par là acquérir l’éternité. » (Tertullien, Du baptême, II, 1)
Le baptême fait de nous des chrétiens, c’est notre être même qui est transformé, notre identité profonde ; mais il s’agit ensuite de le « déployer », de l’illustrer, à un niveau cette fois existentiel, qui fera s’épanouir ce que nous sommes, c’est-à-dire des fils et filles de Dieu à l’image du Christ.
Ainsi, de simples créatures de Dieu à son image, mais défigurées par le mal et notre péché, nous devenons fils et filles adoptives de Dieu, autres Christ en Christ, grâce au Christ. « Voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes » (1 Jean 3, 1). Tertullien écrit d’ailleurs :
« Par là, l’homme est rendu à Dieu selon sa ressemblance (...) car il retrouve cet esprit de Dieu qu’il avait reçu du souffle créateur, mais qu’il avait ensuite perdu par le péché » (Du baptême, V, 7).
Et le sens profond de cette association, de cette conformation, configuration à Jésus Christ, c’est que nous lui sommes intimement associés, notre être même, dans sa Passion et sa Résurrection, dans sa mort au péché et sa vie pour Dieu. Nous disons même que nous faisons partie de son Corps, en quelque façon : être baptisé, c’est faire grandir le Corps du Christ.
Recevoir l’huile, comme le Christ
Pour preuve, Tertullien nous en donne l’illustration par les mots, à propos de l’onction d’huile (de “chrême”), que le baptisé reçoit après l’eau : “Notre nom de “chrétiens” vient de là, de “chrisma” qui signifie onction et qui donne aussi son nom au Seigneur, “Christ”.
Ce sont des historiens non chrétiens (Flavius Josèphe, Pline le Jeune, Tacite…), contemporains des apôtres, qui nous font connaître les premiers ce terme, en associant les hommes qui se réclament de Jésus à leur Dieu : ainsi Tacite, dans ses Annales :
« Ce nom (de chrétien) leur vient de Christ, qui sous le principat de Tibère, avait été livré au supplice par le procurateur Ponce-Pilate »
En recevant le baptême, on reçoit le Christ et la volte-face qu’il a opérée pour nous sur la croix : grâce à lui, nous nous détournons de la mort, et nous embrassons la vie ; nous renions le mensonge et son auteur, Satan, et nous choisissons la Vérité éternelle, Dieu ; nous renonçons à l’esclavage du mal, et nous choisissons la liberté en Dieu ; morts à la mort, nous vivons désormais pour la Vie de Dieu. Sacré programme !
Et il est inscrit dans notre être le plus profond, sans que Dieu change d’avis : à nous désormais de correspondre, de répondre concrètement à cet appel et à cette grâce, en aimant Dieu et le prochain pour l’amour de Dieu.
Alors, à quoi (est) bon le baptême ? A commencer, et à commencer pour de bon. Tertullien encore, à propos de la nécessité du baptême, écrit :
« Autrefois, avant la passion et la résurrection du Seigneur, le salut était obtenu par la foi seule ; mais depuis que pour les croyants, la nativité, la passion et la résurrection sont devenus objets de foi, le baptême fut ajouté, sorte de vêtement pour la foi qui auparavant était nue. »
Et il donne l’exemple de l’apôtre Paul :
« Dès que Paul accéda à la foi, il fut baptisé. C’est bien ce que le Seigneur lui avait ordonné lorsqu’il tomba aveugle : Lève-toi, lui dit-il, et va à Damas, là il te sera montré ce que tu dois faire, c’est-à-dire, recevoir le baptême, la seule chose qui lui manquait ».
Avec lui, tout commence, et par la suite, toute notre vie consistera à revenir à notre baptême, toujours neuf, renouvelé, à la source pure de la grâce qu’est Dieu, à qui nous devons et de qui nous attendons tout.
frère Thomas Carrique
Frère Thomas Carrique enseignait le français avant d'entrer dans l'Ordre. En 2023, il est frère étudiant au couvent de Lyon.
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