5. Les derniers mots du Christ
« Éloï, Éloï, lema sabactani !? » ce cri en araméen qu’on peut traduire par : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné !? » (Marc 15, 34) est l’une des 7 dernières paroles du Christ sur la croix.
Et des 7 c’est clairement la plus énigmatique ! Mais c’est peut-être justement parce qu’elle a quelque chose à dire sur le mystère du mal !
Et comme toujours avec la Bible, quand un passage n’est pas clair, c’est qu’il faut le rapprocher d’autres passages bibliques pour qu’il s’éclaire ! Et ça tombe bien, puisque nous avons 6 autres paroles du Christ sur la croix, pour nous aider !
Les évangiles de Marc et Matthieu ne nous rapportent que cette parole, et la réaction des soldats qui ne comprennent pas et se moquent de Jésus ! De leur côté, les évangiles de Luc et de Jean ne reprennent pas ce cri, mais apportent chacun 3 autres paroles :
« J’ai soif ! » (Jean 19, 28)
Commençons par la plus proche – un autre cri : « J’ai soif ! » C’est la deuxième des dernières paroles du Christ, chez Jean. Elle montre bien qu’en Jésus Dieu n’a pas fait semblant de se faire homme ! Il a épousé notre condition humaine jusqu’à la souffrance et à la mort ! Il a expérimenté la même injustice et le même sentiment d’abandon que ce pauvre Job ! Devant le mal Dieu ne vient pas d’abord faire quelque chose, apporter une solution : il vient habiter notre souffrance !
Mais son cri n’est pas que pur désespoir !
« Père entre tes mains je remets mon esprit. » (Luc 23, 46)
A cet égard la dernière parole rapportée par Luc est intéressante : « Père entre tes mains je remets mon esprit. »
C’est une expression de pure confiance ! Car même lorsqu’il crie « pourquoi m’as-tu abandonné ? » Jésus se tourne vers le Père.
Au fond, crier vers Dieu en demandant « pourquoi », c’est encore une manière de lui dire sa confiance, de dire sa conviction que Dieu ne peut laisser les choses se terminer ainsi. Il ne peut laisser le mal triompher !
Même au plus profond de cette situation d’abandon, Jésus se tourne vers Dieu. Jésus fait de son cri une ouverture vers Dieu : c’est à Lui de sauver l’homme du mal qui le broie. Or justement le mal, il prend un sacré coup sur la croix !
« Père pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. » (Luc 23, 34)
Car si Jésus crie vers Dieu, ce n’est pas pour maudire ceux qui le crucifient ! Au contraire comme le rapporte la première parole chez Luc, Jésus demande même le pardon pour eux : « Père pardonne-leur ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Jésus ne se laisse pas vaincre intérieurement pas le mal, il ne se laisse pas « contaminé » par un esprit de vengeance qui l’aurait poussé à faire le mal à son tour. En pardonnant il brise le cercle vicieux du mal.
« Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » (Luc 23, 43)
Et il faut même plus, son pardon devient un chemin de salut. Là encore c’est l’évangile de Luc qui nous le rapporte, alors que tous se moquent de lui, Jésus trouve la force d’accueillir le repentir du bon larron, et il lui fait promesse : « Amen, je te le dis : aujourd’hui, avec moi, tu seras dans le Paradis. » La croix de Jésus est devenue une porte ouverte sur le ciel !
« Femme, voici ton fils – voici ta mère. » (Jean 19, 26-27)
Et en nous réconciliant ainsi avec Dieu, Jésus rend possible notre unité dès ici-bas ! En effet, en confiant Marie à son disciple bien-aimé, Jésus ne fait rien de moins que de fonder l’Eglise !
Lorsque, d’après l’évangile de Jean, il dit à Marie « femme voici ton fils » et à son disciple bien-aimé : « voici ta mère », Jésus fait de sa mort, de son absence, l’occasion de former l’embryon d’une communauté nouvelle, une communauté où le mal aura été chassé par son commandement d’amour.
« Tout est accompli. » (Jean 19, 30)
Enfin, d’après l’évangile de Jean, les derniers mots de Jésus en croix sont : « Tout est accompli. » Ces trois petits mots tous simples jettent sur le cri de Jésus une incroyable lumière.
Ils nous rappellent que « Mon Dieu, Mon Dieu pourquoi m’as-tu abandonné ? » ce sont les premiers mots d’un psaume : le psaume 21. Par ce cri, cette citation, Jésus montre que tout cela :
- Dieu qui vient, en Jésus, habiter notre souffrance ;
- l’homme souffrant qui, en Jésus, trouve un chemin vers le Père ;
- le pardon vainqueur de la haine ;
- qui ouvre les portes du paradis ;
- et fonde l’Église ;
Rien de tout cela n’est pas arrivé par hasard ou par erreur : c’était le plan de Dieu, son projet d’amour pour vaincre le mal en le prenant à son propre piège !
Car voici la dernière phrase de ce psaume 21 :
« On proclamera sa justice au peuple qui va naître : Voilà son œuvre ! »
C’est renversant, non ?..
frère Pierre de Marolles
Frère Pierre de Marolles est frère dominicain de la province de Suisse. Après des études à Fribourg, En 2021, il poursuit un doctorat à Louvain-la-Neuve, où il continue de travailler sur l'Apocalypse.
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