3. Triduum pascal, une messe de 3 jours
Combien de temps dure une messe ? Une demi-heure, une heure ? Oui le dimanche ou les autres jours de la semaine. Mais beaucoup plus pendant les jours saints.
Le jeudi saint, la célébration commence comme toutes les messes par le signe de croix qui ouvre un périmètre de grâce dans le temps et dans l’espace où le Seigneur nous convoque. Ce soir-là, nous faisons mémoire du lavement des pieds et du don de l’eucharistie aux apôtres.
À la fin de la messe, il n’y a pas précisément de fin, pas de bénédiction avec le signe de croix. Nous conduisons le saint Sacrement au reposoir dans l’église, l’autel est dépouillé des cierges et de la nappe et nous entrons dans la grande prière de l’agonie du Christ à Gethsémani.
Le vendredi saint
Le vendredi saint, la célébration de la Croix commence par une procession en silence des prêtres. Mais il n’y a toujours pas de signe de croix au début. Nous écoutons la Passion, nous vénérons la croix du Christ en l’embrassant et nous communions avec la réserve du Jeudi Saint. Et il n’y aura pas de signe de croix à la fin non plus.
Le samedi saint
Nous entrons alors dans le samedi saint, le grand silence. Le Christ est mort, il n’y a plus aucune liturgie. C’est le seul jour de l’année où l’on ne célèbre pas de messe. Quand le samedi soir vient, nous entrons dans le dimanche. Oui tu as bien entendu : les jours dans la liturgie commencent au crépuscule ! Cela nous vient de la liturgie juive. Souviens-toi de la Genèse : il y eut un soir, il y eut un matin, ce fut le premier jour qui commence donc par la nuit !
La Vigile pascale
Lors de la Vigile pascale, dans la nuit du samedi au dimanche, nous nous rassemblons autour du feu mais toujours pas de signe de croix pour commencer la célébration Le célébrant bénit le feu puis il prépare le cierge pascal en disant :
Le Christ, hier et aujourd’hui, commencement et fin de toutes choses. Alpha et Oméga, à lui le temps et l’éternité, à lui la gloire et la puissance pour les siècles sans fin. Amen.
Puis il plante dans le cierge 5 grains d’encens en forme de croix pour symboliser les 5 plaies du Christ. Alors nous suivons le cierge pascal et entrons tous dans l’église plongée dans le noir puis nous chantons l’exultet !
Mais toujours pas de signe de croix… il faudra vivre toute la vigile pascale, les neuf lectures (7 de l’Ancien Testament et 2 du nouveau Testament dont l’évangile), la litanie des saints, la bénédiction de l’eau et les baptêmes des adultes puis la célébration de l’eucharistie pour qu’à la toute fin, au cœur de la nuit, le célébrant bénisse enfin l’assemblée par la belle bénédiction solennelle de Pâques !
Deux signes de croix en trois jours
Du jeudi saint au dimanche de Pâques : deux signes de croix et donc une seule messe qui dure 3 jours ! Parce que toute messe célèbre l’unité profonde du mystère de Pâques : la mort et la résurrection de Jésus.
Ce que Jésus dit le Jeudi saint : « ceci est mon corps livré pour vous, ceci est mon sang versé pour vous », il le réalise, il le rend réel par sa mort sur la croix. Et par sa résurrection, il prouve que la mort n’a pas eu de prise sur lui et que le pardon et la vie éternelle qu’il nous a donné à l’instant de la croix est valable pour tous les temps et tous les lieux parce qu’il est Dieu éternel.
Le temps d’une messe
Mais ce que je te dis là, en fait nous le vivons à chaque messe. Le temps de ces jours décisifs est comme concentré dans le temps de la messe, en général moins d’une heure. Quelle est la preuve que nous traversons bien les jours saints à chaque messe ?
L’autel du partage
La réponse est dans cet objet qui se trouve dans le chœur de toutes nos églises : l’autel bien sûr. Vers lequel converge tous les regards. L’autel est la table du dernier repas du Christ. C’est assez simple de le remarquer.
En effet, le Christ reprend le jeudi saint le déroulé exact de la Pâque des Hébreux que tu trouves dans le livre de l’Exode et qui est encore célébré par les Juifs aujourd’hui.
« Vous prendrez un agneau ou un chevreau. Vous le garderez jusqu’au quatorzième jour du mois. Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. On mangera sa chair cette nuit-là, on la mangera rôtie au feu, avec des pains sans levain et des herbes amères. » (Exode 12. 5-8)
Mais dans les récits rapportés par Matthieu, Luc, Marc et Paul, il reste une énigme : où est l’agneau pascal lors du jeudi saint ? Il n’y a pas d’animal à manger sur la table car le véritable agneau c’est Jésus. C’est lui qui donne sa chair et son sang à manger.
Pour te donner une image, c’est comme si tu prenais un film en gardant les mêmes images mais que tu le doublais par un nouveau texte. Jésus célèbre le même repas que les Juifs mais il se place lui-même au cœur du repas. Ce qui est radicalement nouveau et ainsi il accomplit le sens profond de l’Écriture : l’agneau dont le sang répandu sur le bois des portes a protégé de la mort les Hébreux, le peuple élu, le véritable agneau c’est Jésus dont le sang répandu sur la croix protège de la mort le nouveau peuple élu des baptisés. Ce qu’il dit ce soir-là, le don de son corps et de son sang, il va l’accomplir le lendemain sur la croix. Corps livré pour vous, sang versé pour les multitudes.
C’est pour cela que sur l’autel nous dressons normalement une croix pour célébrer la messe. L’autel n’est pas que la table d’un repas, il est aussi le rocher du Golgotha, le calvaire où le Christ donne sa vie sur la croix. Quand nous assistons à la messe, nous sommes donc invités au dernier repas du Seigneur et présents également au pied de la Croix !
L’autel du sacrifice
Pourquoi l’autel est-il aussi le Golgotha ? Car c’est le lieu du sacrifice. Un nom que nous utilisons trop rarement mais qui est essentiel. Saint Augustin définit ainsi le sacrifice :
« Toute œuvre bonne qui contribue à nous unir à Dieu en une sainte société, à savoir toute œuvre rapportée à ce bien suprême grâce auquel nous pouvons être véritablement heureux » (Augustin, La cité de Dieu, X, 6).
Il n’est donc pas d’abord question de souffrance mais d’une œuvre, d’un acte à poser pour s’unir au Seigneur. Jésus fait un sacrifice non parce qu’il souffre beaucoup mais parce qu’au cœur de la souffrance injuste qui lui est infligé (je rappelle qu’il est absolument innocent), il ne cesse de nous aimer infiniment et de nous pardonner : « Père pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font », « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le Paradis »
Le sacrifice païen repose uniquement sur la souffrance. Il faut que ça coûte, que ça saigne, pour que ça marche. Le sacrifice chrétien lui repose sur l’amour puisque ce qui est visé c’est la communion, s’unir à Dieu. C’est un acte motivé par l’amour et non par la souffrance . C’est donc parce que je t’aime que je suis prêt à tout donner pour toi jusqu’à ma propre vie. La perspective est très différente. Attention donc à toujours bien veiller à excommunier le petit hérétique qui vit dans notre cœur.
Chaque messe célèbre ces deux dimensions : partage et sacrifice. Mais ce n’est pas fini !
L’autel du tombeau
L’autel ressemble à une table ok. À un calvaire hmmm ok mais aussi à un tombeau.
Si tu vas un jour au Musée du Louvre, dans la section sarcophage romain, tu auras l’impression d’être dans des salles remplies d’autels. Pourquoi donc ? Parce que l’autel symbolise également le tombeau dans lequel le Christ a été déposé après sa mort sur la croix le vendredi, dans lequel il repose le samedi saint et dans lequel il ressuscite le 3e jour comme il l’avait promis. Les saintes femmes puis Pierre et Jean sont venus eux-mêmes constater que le tombeau ne contenait plus le corps du Christ. Cela signifie qu’il n’est pas ressuscité sous la forme d’un esprit indépendant dont le cadavre serait resté dans le tombeau. Non son corps lui-même n’est plus dans le tombeau : Jésus a pris aussi la matière avec lui et, ainsi, la matière a la promesse de l'éternité. Jésus est réellement ressuscité pour la vie éternelle, dans la réalité de son corps glorieux qui assume son corps de chair.
Donc en contemplant l’autel dans ton église tu contemples l’intégralité du mystère de la mort et de la résurrection du Christ. Jeudi saint au Dimanche de Pâques. Ce qu’on appelle aussi le Triduum.
Pour aller plus loin :
Nicolas Burle, La messe est (bientôt) finie ?, Cerf, Paris, 2020
frère Nicolas Burle
En 2021, lrère Nicolas Burle vit au couvent de Lille. Il est l'Aumônier général des Scouts unitaires de France depuis 2019. Il a publié "Secoue-toi ! Sinon ta foi, elle décolle pas !" aux éditions du Cerf, en 2017 et "La messe est (bientôt) finie ? guide de randonnée pour ceux qui s'ennuient à l'église." aux éditions du Cerf en 2020.
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