1. Notre Père (1/3) On commence par la fin
Maître, apprends-nous à prier. Quand vous priez, dites : « Notre Père ».
C'est dans les Évangiles, et, 2000 ans après, on est toujours à l'école. Qui dit école dit maître, et là c'est Jésus Christ. Qui dit école dit aussi objectifs d'apprentissage – des contenus – et objectifs d'éducation – aujourd'hui on dit des savoir-être. Parce que le « Notre Père », c'est une école de théologie, la prière nous dit qui est Dieu et qui est l'homme. C’est aussi une école avec travaux pratiques, car elle nous dit comment faire pour prier.
Oui, on commence par la fin : Notre Père, qui es aux cieux.
voix off : Non, mais, mon gars, là, c'est le début, pas la fin ?
Et pourtant si, c'est la fin, en théologie on peut dire pour être plus clair : la fin, aka, la cause finale…
voix off : ah bah oui indéniablement, c'est plus clair …
Mais si, la cause finale : le but, en clair, ce pour quoi on fait quelque chose. Par exemple : je me lève le matin, ce n'est pas pour me lever que je me lève. C’est plus clair, oui ? on continue. La voilà, notre fin, ce vers quoi on va, ce pour quoi je me lève tous les matins, même si je pense d'abord et surtout à mon café c'est, au fond du fond, en vue du Père que je me lève (pensez-y à votre cause finale, la prochaine fois que vous avez du mal à sortir de dessous la couette : pas pour culpabiliser, mais pour réveiller aussi le désir). Rien qu'avec cette fin-là, on pourrait tenir une heure, si si.
Comme on n’a pas une heure, on garde l'essentiel : notre / Père / cieux
Une prière en “nous” Notre, d'abord. On le rabâche au caté, mais c'est très important : « notre », et non pas « mon ». La prière chrétienne, c'est une prière collective, une prière en nous : c'est celle de tous ceux qui sont devenus enfants du Père par le baptême. Toute prière, même tout seul dans sa chambre, est prière avec et pour les autres. Le NP nous dit d'abord qui on est : un peuple de baptisés. Puis il nous dit à qui on parle et vers qui on veut aller : « Père ». Le Père : une analogie Père, ça dit qu’on est en relation avec Quelqu’un, dont on peut parler comme d’un Père. Et dire Père, c’est en fait, mine de rien, employer une analogie.
voix off : une ana-quoi ?
Petit point vocabulaire : l'analogie, c'est le fond de commerce du théologien : sans analogie, pas de théologie. Pour parler de Dieu invisible, incompréhensible et transcendant, l'homme ne peut que faire avec son expérience et son vocabulaire. Avec la Bible, certains mots et certaines expériences nous sont données comme adéquats pour dire Dieu et son agir. Avec Jésus, l'analogie des analogies, c'est celle du Père. Père, c'est la manière la moins inadéquate pour dire l'être et l'agir de Dieu. un correctif : “qui es au cieux” Mais la théologie passe son temps à corriger une analogie l'une par l'autre, pour avoir un discours à peu près juste sur Dieu. Et oui, c'est parfois un poil irritant et pas hyper confortable : c'est comme, mais c'est pas comme, c'est aussi comme, mais c'est pas tout tout à fait ça ….
Pareil dans le Notre Père, si si, car ce Père, il est aux cieux. En langage biblique, dès qu'on parle du ciel, on parle de ce qui relève du divin, qui est transcendant, différent de la terre, le monde des hommes. Dire « notre Père », c'est dire une relation d'amour et de proximité. Dire « qui es aux cieux » c'est dire la transcendance de Dieu, sa différence d'avec le monde des hommes. C'est un père, mais il ne rentre pas tous les soirs à la maison, et ce n'est pas avec lui, qu'adolescent, on négocie le scooter ou la permission de minuit.
Le Notre Père commence par fixer notre regard vers ce Père-là, comme pour détourner nos yeux de notre nombril à nous, pour les fixer sur Lui d'abord. Et ça, c'est une école pour notre foi et notre désir : la fin, l'éternité, le paradis ce sera, pour tous les saints, ne pas cesser de regarder Dieu.
frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
En 2021, frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond vit au couvent de La Tourette. Frère Grégoire est l’auteur du recueil de poésie Chambre avec vues (éditions Cheyne) et de Le Livre et le Désir, éditions du Cerf, 2020.
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