8. La Nativité de Georges de la Tour
Conservé au musée de Rennes, cette huile sur toile de format rectangulaire, non signée, a été attribuée au peintre lorrain au début du XXeme siècle. Un des chefs-d’œuvre les plus connus de Georges de la Tour, qui daterait des années 1645-1648 : à cette époque, il produit de nombreuses scènes nocturnes, “nuits”, marquée aussi par une plus grande sobriété et une recherche de plus de simplicité par rapport à ses riches œuvres de jeunesse.
Le titre de l’œuvre, attribué par les commentateurs, a varié : Nouveau-né ou bien nativité ? S’agit-il d’une scène domestique profane, ou d’une méditation sur le mystère de l’incarnation ? l’ambiguïté entre religieux et profane contribue sans doute à la fascination que cette scène ne cesse de produire.
Description :
Le sujet en est de fait assez simple : au tiers gauche de la toile, assise de profil, le visage légèrement tourné vers la droite, vouez le discret plis dans le cou - une femme d’âge mûr, assise, portant une robe simple de couleur gris-violet, serrée à la taille par une étroite ceinture noire et coiffée d’un bonnet matelassé. Elle tient dans sa main gauche une chandelle dont elle couvre la flamme de sa main droite légèrement recourbée. Son regard, méditatif, est dirigé vers la droite du tableau.
Les deux tiers droits de la toile sont en effet occupés par une autre femme, assise elle de face, vêtue d’une robe de couleur vermillon, assez simple, agrémentée d’un simple corsage de teinte plus claire à la large bordure ouvragée. Ses cheveux sont en partie recouverts par un simple fichu de tissu qui retombe, presque transparent, sur les épaules et dans le dos. Son visage, d’un ovale presque parfait, est penché vers son giron et le nouveau-né emmailloté de langes qu’elle tient dans ses mains, couché sur ses genoux.
Cadrage
Le cadrage est resserré et le fond noir : on perd en profondeur ce que l’on gagne en proximité, notons cependant que la femme de gauche, un peu plus proche du spectateur que la mère et son enfant et de profil, par le geste de sa main que double la ligne noire de sa ceinture, semble inviter le spectateur à se tourner comme elle vers la mère et l’enfant.
Composition
La composition de la toile, simple d’apparence, est en réalité extrêmement structurée et très bien charpentée, qui dirige les regards vers le visage du nouveau-né.
À droite, première masse rouge de forme triangulaire dont l’axe vertical passe par le milieu deu très simple ovale du visage de la mère, descendant le le long de l’arête de son nez et continue dans la ligne qui sépare discrètement les deux pas de la robe. Exactement sur le même axe, le triangle pointe en haut est contrebalancé par un autre triangle, la pointe en bas, que dessine son corsage Cet axe vertical, est interrompu par la fine ceinture noire qui enserre les reins de la femme, qui vient presque toucher en tangente le cercle du visage de l’enfant endormi.
Presque au centre, un autre triangle, lui aussi pointe en bas, dont l’axe vertical est marqué par la cire blanche de la chandelle, doublée du cerne noir de la manche, et qui s’infléchit dans une légère courbe vers la droite par la main de la vieille femme.
Cette verticale vient en outre marquer un coup d’arrêt à l’autre ligne force du tableau que constitue la diagonale blanche et douce que forme le nouveau né sur les genoux de sa mère. Ici encore, le regard du spectateur est invité à s’arrêter sur le visage de l’enfant qui dort.
Le traitement de la lumière
Car le centre de la toile est bien cet enfant, ce que signale à l’évidence l’emploi de la couleur. On a dit de la tour qu’il était un disciple du Caravage, dans son savant traitement des contrastes et intensités de la lumière. De fait, cette toile prouve son génie du clair-obscur, et sa maîtrise technique d’une palette chromatique plus restreinte qu’aux siècles précédents. Mais il y a, par rapport au Caravage, une particularité qui signale l’originalité du peintre lorrain et la signature la plus sûre de ses “nuits”, à savoir la chandelle, seule source interne de lumière, dont la flamme est masquée. Cette nuit éclairée d’une seule lumière a deux effets : suppression des détails anecdotiques du lieu et des circonstances - on ne sait pas où ni quand les choses se déroulent -, et mise en valeur, par le jeux des ombres, des traitements minutieux et réalistes du détail des volumes,des couleurs et des textures : en ce qui concerne le modelé et la carnation des chairs comme de lu traitement différencié des étoffes et des plus.
Car la lumière n'est pas annulée par la main qui la couvre, bien au contraire, elle se répand, doublement réfractée par la paume et par la robe violette de la femme de droite. On ne peut qu’être admiratif du traitement des détails, par exemple dans le modelé de la main de la femme : rouge obscurci de noir, tranchant de la main et lignes des doigts, notamment entre l’annulaire et le majeur, éclat presque blanc de l’ongle de l’annulaire. La lumière semble palpiter dans cette chair immobile. Si on élargit le regard, vers la gauche, la lumière est reflétée, avec intensité, par la robe de violet pâle, renvoyée, comme par la main tenant la chandelle, vers le centre de la toile : le visage du nouveau-né.
Encore une fois, c’est bien lui qui est au centre de la toile : la lumière se reflète sur son front et sa narine, sur le blanc discrètement jaune du linge qui l'emmaillote. Qui plus est, le traitement réaliste des ombres de ce petit corps sur le fond rouge de la robe contribuent encore à le détacher visuellement. Or, comme la flamme est cachée, le spectateur a presque l’impression que, encor eplus que la robe violette presque incandescente de la femme, c’est l’enfant lui-même qui est source de cette lumière chaude et vivante.
Nouveau-né ou bien nativité ?
S’agit-il d’une nativité ou d’une scène domestique profane ? La Tour semble jouer consciemment sur cette ambiguïté, il en est d’ailleurs familier. Peintre du XVII°, il connaît les thèmes, motifs et symboles religieux : peindre une femme avec un nouveau-né, c’est toujours rappeler les Vierges à l’enfant. Il semble en fait que, pour peindre cette scène, La Tour ait combiné des éléments propres à ces trois scènes religieuses : Sainte Famille, Anne, Marie et Jésus, et enfin, une Nativité. Mais, pour qu’il s’agisse d’une Sainte Famille, manque Joseph ; pour qu’il s’agisse d’une Nativité, manquent la crèche, les anges, les bergers, l’âne et le bœuf, l’étoile ou les mages. Le linge, serré, qui emmaillote l’enfant, pourrait être aussi vu comme une discrète annonce du linceul, auquel cas c’est déjà une Pietà qui se dessine.
Comment trancher alors ? Peut-on parler à bon droit d’une scène religieuse ? ne manque-t-on pas le propos du peintre si on n’y voit qu’une scène domestique ? Pour y répondre peut-être faut-il revenir au style même de l’artiste. Par rapport aux productions antérieures de la tour, scènes diurnes notamment, mais aussi scènes de genre nocturnes, on remarque une simplification et une sobriété grandissantes : comme si le peintre lorrain avait peu à peu le seul souci de la virtuosité technique et de l’accumulation de détails réalistes, propres à manifester sa virtuosité technique, pour se resserrer sur l’unique essentiel. Comme nous l’avons déjà signalé, il n’y a ici rien d’anecdotique, rien qui fasse “couleur locale” : si, à l’évidence, le peintre maîtrise sa technique et se montre capable d’une grande habileté, tant dans la composition, le traitement de la lumière, les variations chromatiques, ces outils ne sont pas une fin en soi, mais servent un propos que l’on peut qualifier de spirituel. Regardez les visages de deux femmes : dans leurs yeux, un point blanc, reflet de la lueur de la flamme : elles sont bien présentes. mais leur air est à la fois sobre et grave, on dirait presque méditatif, et elles ne semblent pas regarder le nouveau-né, mais comme être saisie d’une contemplation tout intérieure. La leçon qu’elles nous donne avec le peintre, serait une invitation à la sobriété, au silence et au recueillement, à l’occasion d’une naissance. L’enfant est-il le Christ ? il pourrait l’être, la femme Marie ? pourquoi pas. Le traitement de la lumière, cachée par la paume d’une main, pourrait offrir une belle méditation sur le mystère de l’incarnation où celui qui est “lumière née de la lumière” se cache et se laisse en même temps voir dans la chair. Mais, et c’est le génie de de La Tour, c’est que l’ambiguïté demeure : chaque naissance est une fragilité à protéger, chaque nouveau-né est une promesse, et toute chair appelée à se laisser transfigurer.
frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond
En 2021, frère Grégoire Laurent-Huyghues-Beaufond vit au couvent de La Tourette. Frère Grégoire est l’auteur du recueil de poésie Chambre avec vues (éditions Cheyne) et de Le Livre et le Désir, éditions du Cerf, 2020.
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