7. Saint Luc, historien ou théologien ?
Saint Luc raconte les histoires de Noël, la crèche, les bergers dans les champs… Est-ce que c'est une vraie histoire ou est-ce que c’est un mythe ?
Saint Luc, est un historien helléniste. En effet, un historien n'est pas toujours un historien comme on l’entend aujourd’hui. Un historien à l'époque de Jésus n'avait pas la même ambition qu’un historien d'aujourd'hui ou qu’un historien du XIXe siècle.
Le critère d'être un bon historien n'était pas d'être objectif, mais c'était plutôt d’être proche des événements. Donc les témoins oculaires étaient très souvent les mieux placés pour raconter la véracité des événements. C'est aussi une sorte d'art, ce n'était pas une science. C'était une occupation des personnes cultivées, civilisées. Ce n'était pas une profession ni une sorte de discipline dans une chaire d'histoire dans une université à l’époque.
Il y avait plusieurs méthodes chez les historiens anciens. Pour Thucydide, le père des historiens anciens, la manière de prouver la véracité des événements historiques était surtout d'avoir des témoins, présents pour observer les réalités qui se sont passées. Pour Hérodote, un autre historien de l’époque, c'était extrêmement important de faire des petits entretiens avec beaucoup de gens.
On voit la même chose dans le prologue de saint Luc. Il parle des témoins oculaires. Il déploie toute une sorte de terminologie technique de l'époque de cette sorte d'historiographie. L'exactitude « acribéa » en grec, c'est la véracité que l’on cherche dans les récits historique. Il parle aussi d'« asphaléa », le vérité, le sûreté de son récit.
Je n'hésiterai pas à dire que Luc est « historien » mais avec l’astérisque que c’est un historien gréco-romain, qui n'est pas un historien moderne. C’est un historien qui cherchait plutôt à interpréter les événements sur lesquels il s’est bien renseigné à travers des entretiens avec les gens qu'il appelle les « témoins oculaires ».
L’honnêteté de l’auteur comme critère
La grande différence entre la manière antique et la manière moderne de faire de l’histoire est que l'histoire était une sorte de littérature vraie. Même si l'objectivité n'était pas l'aspiration ou le but de l'histoire ancienne, les gens de l'époque étaient bien capables de distinguer entre les récits vrais et les récits faux. Mais leur manière de faire cette distinction n'était pas la nôtre. Il s’agissait plutôt de distinguer un historien qui était honnête et un historien qui était un menteur. Cette distinction entre l'homme honnête, le bon historien ou le menteur impose un certain critère éthique, voire même esthétique, pour mesurer la crédibilité d'un texte.
Ceci n’est pas un mythe
Les gens de l'époque étaient bien capables de constater que les mythes étaient des mensonges. L'histoire était plutôt la manière de raconter des événements crédibles.
Cette distinction entre deux littératures était importante parce que les historiens de l'époque se confrontaient très souvent aux mythes et les critiquaient. Ils cherchaient à expliquer les événements dans le monde gréco-romain. Il y avait des mythes partout. Donc très souvent un historien devait raconter un mythe. Donc ils ont développé des règles pour raconter des mythes d'une manière historique.
On raconte un mythe d'une manière historique en évitant d’assurer que le mythe est vrai, en prenant de la distance avec le mythe. On raconte le mythe et après on donne l'explication rationalisée de ce mythe. C'est extrêmement intéressant parce qu’on pense qu'on a découvert les mythes aujourd'hui. Ce n'est pas du tout le cas. A l’époque, ils sont bien conscients qu’un mythe n'est pas crédible.
Donc par exemple, Strabon, un historien ancien qui raconte quantité de mythes, donne toujours après l'interprétation du mythe. Par exemple, lorsqu’il raconte le mythe de Gerson, et de ses poules d’or, il nous dit que la réalité derrière c'était des gens qui cherchaient l'or dans les fleuves de cette région. Et il nous dit que l’histoire est devenue un mythe avec le temps, mais qu’à l'origine on peut chercher un événement réel. Cela, c'est la manière des historiens de l'époque de raconter le mythe. Ou bien on donne une alternative : on raconte le mythe et on donne une alternative qui explique les choses d'une manière crédible.
Ce qu'on voit dans saint Luc, c'est qu’il raconte les choses que les lecteurs de l'époque ont reconnues comme étant un événement trop surnaturel. Mais après il ne donne pas une sorte de rationalisation de démythologisation. Donc c’est sa manière de raconter ces choses qui présuppose leur véracité. Il ne prend aucune distance comme auteur envers les événements surnaturels. Avec cette manière de raconter les choses, on arrive à la fin avec une sorte de forme historique associée à un contenu mythique. Et ça, c'est la spécificité extraordinaire, le défi aussi littéraire du récit de l'enfance chez saint Luc.
Il nous confronte avec ce qu'il présente comme une histoire mais qui en réalité est trop surnaturel pour être une histoire.
Les sources de saint Luc
Il raconte des choses qui sont bien difficiles à accepter, même pour les lecteurs anciens. C'est pourquoi aussi cet appel aux témoins oculaires dans le prologue est aussi important, parce que Luc compte sur la crédibilité, le fiabilité de ses sources.
Les sources de Luc sont aussi une question ouverte. Quelles sont les sources de Luc ? Son récit n'est pas le même que celui de saint Mathieu, pourquoi ?
A propos des sources de saint Luc, très souvent on parle d'une source de Jean-Baptiste parce qu'il y a beaucoup de traditions de ce Jean-Baptiste. C'est un peu difficile à dire ce que ça veut dire…
C'est bien probable qu'il y avait des sortes de cercles populaires qui conservaient une certaine mémoire.
Aussi on a à l'époque une sorte de tourisme autour des personnages connus. Par exemple au sujet de l’empereur César Auguste, on visitait déjà le lieu de sa naissance de son vivant. On a la même chose probablement autour de Jésus. C'est déjà le cas un siècle après. On a des pèlerins, des touristes…
L’Ancien Testament comme cadre
La manière de présenter la Vierge, l'annonce de l'ange, est modelée clairement sur les événements de l'Ancien Testament.
C'est pourquoi la présentation historique doit être mesurée aussi par les critères esthétiques. C'était pour les historiens de l'époque une activité littéraire. Donc ce n'était pas un défaut que Luc raconte la naissance de Jésus avec des échos littéraires de l'Ancien Testament. C'était simplement la manière d'un historien de l'époque.
Saint Luc est bien un historien mais un historien ancien, donc sa manière de raconter les choses est bien à la manière d'un historien dans l'Antiquité dans le monde gréco-romain et pas un historien du XIXe ou d'aujourd'hui.
frère Anthony Giambrone
Frère Anthony Giambrone est un dominicain américain, professeur de Nouveau Testament à l’École Biblique et Archéologique de Jérusalem. Il s'intéresse à la manière dont les premiers chrétiens pensaient l'identité du Christ, dans le contexte juif et romain de leur époque. Il a beaucoup publié, surtout en anglais, par exemple : A Quest for the Historical Christ: Scientia Christi and the Modern Studia of Jesus (2022). Il enseigne aussi dans la prestigieuse Université Notre-Dame (Indiana) aux États-Unis.
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