8. L’acédie
Frère Alban : Parfois, je ne suis pas très motivé, je n’ai envie de rien, tout me rend triste, et je n’ai envie de rien faire, alors je papillonne, je zappe, je vais voir ailleurs, sans jamais être satisfait.
En Orient : la tristesse du solitaire
Ce manque de goût n’est pas nouveau. Les ermites du désert d’Egypte le ressentaient déjà et l’appelaient acédie. C’est le mot grec utilisé dans ce verset du psaume 118, 28 : « La tristesse m'arrache des larmes : relève-moi selon ta parole. ». Là, comme souvent dans les psaumes, l’Homme reconnaît son état et fait appel à Dieu pour le sauver.
Parfois, à midi, quand il fait chaud et que la faim se fait sentir, les moines avaient envie d’arrêter de prier, de sortir... D’abord, ils regardaient par la fenêtre, et puis ils sortaient de leur cellule, espérant trouver quelqu’un avec qui discuter. Parfois, ça allait tellement loin qu’ils allaient voir ailleurs.
L’un d’entre eux, Évagre le Pontique (Traité pratique, ch.27-29), une des sources de la théorie des péchés capitaux, disait que cette tristesse et cette paresse viennent d’idées noires inspirées par les démons. Il propose différents remèdes :
1) D’abord, il y a les larmes, il s’agit de prier pour demander la conversion et savoir pleurer sur tout ce qui nous sépare de Dieu. Pleurer. Les larmes cassent ce qui s’est solidifié en nous et y font passer la vie.
2) Ensuite, il y a la Parole de Dieu. Prenez exemple sur le Christ dans sa lutte au désert contre le diable. On peut aussi trouver des paroles de consolation ou d’encouragement, par exemple dans les psaumes.
3) Il faut persévérer dans ce qu’on fait, et résister à l’envie de changer d’activité toutes les 5 minutes.
4) Il conseille aussi de méditer sur la mort et sur la vie éternelle avec Dieu.
En Occident : la tristesse en société
Nous ne sommes pas tous des ermites. On n’a pas tous les mêmes tentations selon les mêmes modes de vie.
Tirons profit de l’enseignement de Jean Cassien, qui a rapporté l’enseignement des pères du désert en occident. Son analyse est un peu différente (Conférences 9, Institutions 10). Pour lui, il y a des vices qui s’enchaînent les uns aux autres : la colère crée la tristesse et la tristesse crée la paresse.
On peut être triste à cause d’une colère passée ou d’une contrariété, mais aussi à cause d’une trop grande inquiétude ou du découragement. Tout ça nous dé- motive et crée la paresse : on a envie de dormir, on est de mauvaise humeur, on est instable. Il remarque que la tristesse est à la fois active : elle nous pousse au dégoût de notre situation, et passive, elle nous empêche d’agir.
La tristesse est la racine d’autres péchés : la malice, la rancœur, la pusillanimité (ou timidité), le désespoir, la tiédeur à faire le bien.
Grâce à ces nouvelles analyses, approfondies au long de l’histoire, de nouveaux remèdes à la tristesse spirituelle sont proposés.
Par exemple, le travail manuel. Il faut faire travailler le corps pour combattre les maux de l’esprit. C’est une interprétation toute spirituelle du verset de saint Paul : « qu'ils travaillent dans le calme et qu'ils mangent le pain qu'ils auront eux-mêmes gagné. » (2 Thessalonicien 3,11-12) : ce pain gagné, c’est la joie qui fait reculer la tristesse.
Mais contre la tristesse, t’es pas forcément tout seul. Effectivement, Saint Benoît propose comme remède dans sa règle de vie pour les moines (Règle monastique, 48, 17-18) le soutien fraternel pour combattre la tristesse spirituelle. Quand on n’a pas envie de prier, il n’y a rien de tel qu’un frère plus sage pour nous rappeler combien c’est important.
L’acédie, cette tristesse spirituelle, ne touche pas que les moines, elle touche tout le monde. Alors, quand vous manquez de goût, rencontrez du monde !
Tristesse et mélancolie : péché et maladie
Frère Alban : “Alors faut que j’aille voir un psy ?”
Attention, on ne parle pas ici de dépression. Dans l’Antiquité, on parlait déjà d’une maladie qui démotive, on appelait ça la “mélancolie”, maladie qui venait du corps. Donc si quelqu’un souffrait de mélancolie, le seul remède, c’était d’aller voir le médecin. (Saint Jérôme, lettre 135).
Frère Alban : Et pourquoi la tristesse ça serait un péché ?”
La tristesse en soi n’est pas un péché, il y a aussi une bonne tristesse. Quand on est privé de Dieu, on est triste et c’est aussi ça qui nous motive pour nous convertir. Donc, s’il y a une bonne tristesse, il y a aussi une mauvaise tristesse.
En fait, la tristesse, c’est un mouvement de l’âme, qui ne dépend pas de nous. On la constate. Comment la tristesse peut-elle devenir un péché ? Un péché, c’est un acte mauvais commis librement.
Frère Alban : “Mais si je la subis, comment ça peut être un péché ?”
Saint Thomas (Somme Théologique, IIa IIae, Qu. 35, Question disputée sur le mal, Qu. 11) définit l’acédie comme une tristesse particulière... Ce qui est de l’ordre du péché, c’est de laisser monter en nous le mépris, de consentir volontairement au dégoût des choses de Dieu, de fuir volontairement les cadeaux que Dieu me donne, et les occasions que j’ai de faire le bien.
L’acédie est une maladie de l’âme. Une maladie grave. Elle est grave parce qu‘elle chasse en nous la présence de Dieu. Elle nous coupe de la charité, elle nous coupe de Dieu, et ça c’est important.
Pour lutter contre l’acédie, il faut employer des remèdes spirituels.
Frère Alban : “Ben oui, à problème spirituel, remède spirituel !”
En effet, pour Thomas, le meilleur remède contre cette sorte de tristesse, c’est de méditer sur les biens que Dieu nous offre ou qu’Il nous promet. C’est de laisser éclater la louange.
Ainsi, vivons…
- l’instant présent : pour éviter de zapper
- la conversion : pour retrouver la présence de Dieu
- et l’espérance : pour goûter ses promesses.
frère Christian-Marie Donet
Frère Christian-Marie est recteur de l’Oratoire de la Sainte face de Tours depuis 2016. Il est président de l’Association des Recteurs de Sanctuaires (A.R.S.) depuis 2019.
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