9. Entreprise : concilier bien commun et bénéfices
On entend souvent que le but de l’entreprise, c’est le profit ; ou que l’argent, c’est le nerf de la guerre. Tout ça n’est pas très motivant quand on se réveille le matin pour aller travailler… Pourtant nous sommes nombreux à travailler en entreprise et à y être heureux. On apprécie les relations, on sent que notre travail est utile, on progresse soi-même… Bref, une autre force que l’argent est en jeu… Sans doute bien plus forte !
Quand on vous demande ce que vous faites comme travail, répondez-vous que vous produisez de l’argent ? Sans doute pas ! Composer de belles compositions fleuries permet de témoigner de l’amour ou de l’amitié. Au restaurant, bien nourrir ses clients. A l’hôpital, prodiguer les meilleurs soins aux patients. Au tribunal, participer à la juste défense de ses clients. En ville, assurer la sécurité, etc. C’est là la contribution de chacun au bien commun.
Mais c’est quoi le bien commun ?
Le bien commun, c’est cet ensemble de conditions sociales qui nous permettent chacun, et tous en groupe, d’atteindre notre perfection de manière plus aisée et plus complète. Ça passe par une bonne justice, de la sécurité, une monnaie stable, mais aussi par des choses beaucoup plus concrètes : de quoi se nourrir, s’amuser, collaborer… Savoir que Dieu nous a créés capables de construire toutes ces belles choses nous indique que notre vocation individuelle passe par ce chemin collectif. C’est ce que dit saint Thomas d’Aquin quand il associe le bien particulier de chacun au bien de tous, c’est-à-dire au bien commun.
« Celui qui cherche le bien général de la multitude cherche conséquemment son bien propre » (saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, IIa-IIae, Qu. 47, art. 10).
C’est à ce but que travaillent toutes nos entreprises, associations, administrations, bref, toutes nos organisations, chacune avec leur style propre !
En entreprise, le bien des différents partenaires
Le problème, c’est que la tâche est lourde ! Il y a tant à faire ! Et donc nous y travaillons à plusieurs ! Pour cela, on fait rentrer dans notre cercle différentes personnes que nous apprenons à aimer de manière parfois très concrète. Le chemin pour aller de l’individu vers la société toute entière est long, et parsemé d’embûches, mais il est possible d’y aller petit à petit. Prenons l’exemple de l’entreprise :
Il est fréquent de s’entraider dans une équipe lorsqu’un collègue a besoin d’aide pour accomplir son travail.
Mais finalement, toutes les personnes qui travaillent dans l’entreprise ont le même objectif : soigner des patients, fournir du pain, véhiculer des gens…
Attention, ce n’est que le début ! L’entreprise a pour but de permettre au client de réaliser quelque chose de bon pour lui… En tant qu’employé de cette entreprise, on collabore à un projet du client. On a donc un intérêt commun, un bien commun, avec lui.
Les fournisseurs sont également dans notre cercle : ils nous aident à réaliser notre mission !
L’inspecteur du travail, les actionnaires et les autres partenaires sont également là pour s’assurer que l’action de l’entreprise soit réellement un bien pour la société, chacun avec leur apport particulier : la conformité à la loi, la bonne orientation des décisions principales, etc…
Enfin, soyons fous : on collabore également avec… nos concurrents ! Rien de pire qu’un monopole pour le client ! Le concurrent, par son existence, nous incite à être plus efficace, à chercher à mieux comprendre les besoins du client, à préserver son pouvoir d’achat, à le rendre plus satisfait. Les concurrents d’une entreprise et cette entreprise ont un objectif commun … ils construisent le même bien commun !
Les papes parlent de l’entreprise
En 1991, dans l'encyclique Centesimus Annus que Jean-Paul II a écrite pour fêter les cent ans de la Doctrine Sociale, ou plutôt de la première encyclique sociale Rerum Novarum, il disait :
« Le marché libre soit l'instrument le plus approprié pour répartir les ressources et répondre efficacement aux besoins » (Centesimus Annus, §34)
On entend parfois des entrepreneurs dire qu’ils sont heureux d’avoir de bons concurrents parce que ça les incite à bien faire ! J’aime vraiment voir la doctrine sociale comme un jaillissement d’amour, un débordement d’amour. On le voit bien ici avec l’entreprise, ça peut aller très loin… Le pape François nous-même nous y appelle dans son encyclique Fratelli Tutti sur la fraternité.
« Il est possible, en commençant par le bas et le niveau initial, de lutter pour ce qui est le plus concret et le plus local, jusqu’à atteindre les confins de la patrie et du monde. Les difficultés qui semblent énormes sont une opportunité pour grandir et non une excuse à une tristesse inerte qui favorise la soumission. » (Fratelli Tutti, §78)
Un monde où on aime ses concurrents, c’est trop beau pour être vrai ? Je crois que c’est quelque chose qui se tente.
Tous reliés
On peut se demander ce que l’Église a à dire de ces réalités économiques. Et pourtant, les papes et les conciles se sont exprimés sur toutes sortes de choses qui peuvent aider à collaborer au bien. En 2004, ces textes ont été classés et rassemblés dans un document appelé le Compendium de la doctrine sociale. On y découvre que
« …un vrai marché concurrentiel est un instrument efficace pour atteindre d'importants objectifs de justice: modérer les excès de profit des entreprises; répondre aux exigences des consommateurs ; réaliser une meilleure utilisation et une économie des ressources ; récompenser les efforts des entreprises et l'habileté d'innovation et faire circuler l'information de façon qu'il soit vraiment possible de confronter et d'acquérir les produits dans un contexte de saine concurrence. » (Compendium, §347)
Qu’on en soit déjà là ou pas, l’essentiel est de comprendre qu’au travail, nous sommes tous reliés, et que ce qui nous relie est le bien commun que nous recherchons tous ensemble. Aujourd’hui, plus rien ne se fait tout seul, et c’est toujours en groupe qu’on réalise notre travail. « Tous frères », nous dit le pape François !
Pour résumer, là, aujourd’hui, on peut chacun se demander où on en est… L’amour du collègue, ça marche, OK.. Mais l’amour des collègues d’autres services ? du client ? des fournisseurs ? des inspecteurs ? des concurrents ? Le premier échelon qui nous met en face d’un “eux” contre “nous” est celui sur lequel il nous faut travailler pour progresser vers un bien qui soit un peu plus commun ! Un collectif de travail, c’est un bateau à manœuvrer ensemble pour construire le bien commun… Tâchons donc d’utiliser tous les bras disponibles, même les plus inattendus !
Pour aller plus loin :
https://www.theodom.org/serie/ecologie-chretienne/
https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/
https://clameurs-lawebserie.fr/
https://jeuneetengage.org/
https://zachee.com/
Thomas Ailleret
Thomas Ailleret travaille dans l'industrie, en Vendée, d'où il est bien placé pour s'interroger sur la manière dont notre foi peut nous aider à vivre dans la société. Membre de la communauté de l'Emmanuel, il fait connaître la doctrine sociale de l’Église, par exemple en publiant : "Vivre en chrétien, quésaco ?" (Cerf, 2020).
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