8. Le travail, une mission ? Devenir saint au boulot ?
Chaque matin, nous commençons à vivre une nouvelle journée à la suite du Christ, et bien souvent, cette journée a lieu au travail. Alors, pourquoi travailler ? Est-ce simplement pour gagner de l'argent ou pour rencontrer des gens sympas ? A moins que ce soit aussi pour se sanctifier ? Dans cette vidéo, sœur Christine Gautier nous fait découvrir une vraie spiritualité du travail, à l'écoute de saint Paul, de saint Thomas et de grands papes du XXe siècle. Le travail peut nous rendre meilleur ! C'est de l'inventivité partagée ! Un principe important de la doctrine sociale de l’Église, c'est le principe de subsidiarité, on en entend parler en politique, mais c'est aussi au boulot qu'il est mis en pratique...
Quand on lit le début de la Genèse, on a l’impression que le travail, ce n’est pas super : Dieu prend tout de suite un jour de repos, le 7e jour, et il maudit Adam en lui disant qu’il travaillera à la sueur de son front, après le péché originel. Pourtant, si on continue le Livre, les patriarches sont des bosseurs, leurs entreprises leur réussissent, et c’est grâce à cela qu’ils vivent les promesses de Dieu. Alors le travail, une corvée ou une mission ?
Saint Paul nous dit : « celui qui ne travaille pas, qu’il ne mange pas non plus ». (1 Thessaloniciens 4, 11 et à nouveau 2 Thessaloniciens 3, 10-12) Eh oui ! Il est nécessaire de travailler pour manger, c’est d’ailleurs la première définition du travail pour le pape Léon XIII, dans l’encyclique Rerum Novarum : « le travail est le moyen universel de pourvoir aux besoins de la vie » (§8). Donc le travail est une nécessité qui nous concerne tous pour rester en vie.
Dénoncer la souffrance au travail
Et parfois cette nécessité est une fatalité pénible : quand je suis sous la pression de mon employeur, des rendements et reportings qui quantifient les performances, des échéances, des flux tendus, mais aussi des embouteillages pour aller travailler, des open-space bruyants ou encore du télétravail solitaire et ennuyeux… Oui, il y a des conditions de travail qui peuvent être dégradantes et contraires à la dignité de l’homme, et c’est pour cela que le Pape Léon XIII, en 1891, s’est emparé de la question sociale pour la mettre au cœur du message de l’Eglise. Pas de bonne nouvelle de l’Évangile si on ignore toutes les injustices perpétrées dans le monde du travail issu de la Révolution Industrielle. C’est la naissance de la doctrine Sociale de l’Église.
Pour Léon XIII, le travail est noble mais il est honteux et inhumain de s’enrichir en imposant des conditions de travail inhumaines, au-dessus des forces physiques et psychiques de la personne. C’est ainsi que Léon XIII propose une réflexion sur les droits et devoirs des employeurs et des employés. En effet, à cette époque la relation patrons-ouvriers cristallise la plupart des injustices sociales.
Par exemple, le juste salaire doit permettre à l’ouvrier et à sa famille de subvenir à leurs besoins, de devenir propriétaire et de mettre sa famille à l’abri en cas de coup dur. Cette réflexion a été prolongée par ses successeurs qui ont influencé l’évolution du droit du travail.
Il rappelle aussi la nature du travail comme source féconde à laquelle est redevable une nation qui en tire sa prospérité.
Le travail, un lien avec la société
90 ans plus tard, pour l’anniversaire de ce premier texte, le pape Jean-Paul II approfondit la compréhension du travail dans une nouvelle lettre intitulée Laborem Exercens, les 2 premiers mots de la lettre en latin. En français ça donne :
« C'EST PAR LE TRAVAIL que l'homme doit se procurer le pain quotidien et contribuer au progrès continuel des sciences et de la technique, et surtout à l'élévation constante, culturelle et morale, de la société dans laquelle il vit en communauté avec ses frères. (Laborem Exercens §1)
Là, le regard s’élargit, le travail n’est plus uniquement mon travail pour me sustenter, mais il s’intègre dans un processus beaucoup plus vaste, qui englobe des interactions avec la société, qui suppose une histoire puisque les élévations ou progrès d’une époque à l’autre se fondent sur l’héritage légué par la génération précédente.
Autre élargissement : Jean Paul II précise que le travail ne se limite pas au travail salarié, il est toute activité dont l’homme est sujet, en tant que personne capable de décider d’elle-même, maître de son destin en quelque sorte. Le travail comporte aussi un aspect objectif : c’est la technique, mais elle est toujours le fruit d’un travail et reste un instrument, au service d’un autre travail. Alors bien des formes de travail contribuent aussi à la prospérité d’une nation, même s’ils ne sont pas quantifiables en termes de PIB. Celui-ci serait bien plus important si on comptait le travail des femmes aux foyers ! Sans oublier de prendre en compte toutes les formes de bénévolat.
Le travail nous rend meilleur
Dans cette vision, même si le travail peut parfois être pénible, il n’est pas une fatalité au sens de fardeau écrasant. D’ailleurs Jean-Paul II, reprenant les catégories de saint Thomas d’Aquin, le classe parmi les biens ardus c’est-à-dire difficiles à atteindre, parce qu’ils requièrent une préparation, une application, de l’exercice pour acquérir dextérité ou compétence. Ardu certes, mais bon ! Il n’est pas seulement « utile », en vue d’obtenir quelque chose, ni seulement agréable, dont on peut « jouir », mais, « il est un bien « digne », c'est-à-dire qu'il correspond à la dignité de l'homme, un bien qui exprime cette dignité et qui l'accroît. » (Laborem Exercens, §9).
Le travail se rapproche donc de la vertu, une qualité acquise qui qualifie de l’intérieur l’homme, le rend bon en même temps qu’elle lui permet d’agir bien, avec aisance et bonheur. Alors l’homme en travaillant se fait du bien à lui-même et aux autres.
C’est pour ça que Jean-Paul II défend aussi le « droit au travail » (Centesimus Annus, §43).
Le travail, c’est de l’inventivité partagée
Saint Thomas donne une autre explication du travail. Il se réfère à Aristote, qui note que l’homme n’est pas pourvu de griffes, ni de fourrures ou autres comme les animaux ; pour se nourrir et se vêtir, mais à la place il a beaucoup mieux : la main alliée à la raison.
« Cela convenait mieux à une nature douée de raison, infiniment fertile en conceptions, et capable de se procurer des instruments en nombre infini. » (saint Thomas d’Aquin, Somme Théologique, Ia-IIae, Qu. 91, Art. 3, ad. 2)
Donc nous ne fonctionnons pas sur le registre de l’instinct animal pour satisfaire nos besoins mais sur l’alliance de la raison et de la main, appelée organe des organes. En effet, elle représente tous les instruments de travail, un simple marteau ou bien un ordinateur par exemple. Cette alliance peut fournir à l’homme « des outils d’une infinité de modèles et pour une infinité d’usages » (ST, I, 76, 5, ad 4) Ainsi : « C’est par son ingéniosité que l’homme pourvoit à ses besoins ». (I-II, 95, 1), et cela d’autant plus que l’homme est sociable et par la parole peut « faire jaillir aux yeux d’autrui tout le contenu de sa pensée » (De Regno, I, 1). Essentiel pour le travail de groupe !
L’homme est donc un génie d’inventivité et découvre des voies toujours nouvelles pour subvenir à ses besoins et ceux de ses proches, car une des fins du travail pour saint Thomas est aussi de faire l’aumône, autrement dit, d’aider ceux qui sont plus vulnérables et ne pourraient pas subvenir tous seuls à leurs besoins, à commencer par les enfants.
Le principe de subsidiarité
Notre travail ne se limite donc pas à notre personne : nous travaillons toujours avec d’autres, nous participons à la même œuvre : c’est la participation. Pour que chacun trouve un espace propice à sa participation, une place doit lui être concrètement laissée : quelle décision peut-il prendre ? quel budget lui est alloué ? En entreprise, ces questions doivent être travaillées par le management et c’est précisément ce qu’on appelle la subsidiarité : comment l’échelon supérieur (le chef) permet à chacun de participer au mieux à l’ouvrage collectif, au bien commun.
Un adage résume ainsi la subsidiarité : autant d’autorité que nécessaire, autant de liberté que possible. C’est-à-dire en négatif : ne pas réguler plus que nécessaire, ne priver aucun échelon du droit d’exercer ses responsabilités ; et en positif : encourager chacun à prendre ses responsabilités et si nécessaire l’y aider.
Si la société, la commune, l’entreprise, la famille, les associations, chaque groupe à son niveau, contribuent à créer les conditions d’une participation de chacun et que tous nous mettons nos dons au service du bien là où nous sommes, alors le travail atteindra cet objectif noble et large que nous indique le pape François :
« [Le travail] n’est pas seulement un moyen de gagner sa vie, mais aussi une voie pour l’épanouissement personnel, en vue d’établir des relations saines, de se réaliser, de partager des dons, de se sentir coresponsable de l’amélioration du monde et en définitive de vivre comme peuple. » (Fratelli Tutti, §162)
Pour résumer : Par mon travail au sens large, je mets en œuvre ma capacité créative (alliance de la main et de la raison). En lien avec d’autres je contribue à produire des biens qui répondent aux besoins humains. Et en cela je me fais du bien, je me réalise et ensemble nous construisons le monde, un monde habitable, un monde fraternel.
Pour aller plus loin :
https://www.theodom.org/serie/ecologie-chretienne/
https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/
https://clameurs-lawebserie.fr/
https://jeuneetengage.org/
https://zachee.com/
sœur Christine Gautier
En 2022, sœur Christine Gautier est moniale contemplative au monastère de Dax. Elle a enseigné la théologie à Rome, à l'Université Pontificale Saint Thomas d'Aquin. Sa thèse avait été remarquée et a reçu le prestigieux prix Henri de Lubac, en 2016 : Collaborateurs de Dieu, Providence et travail humain chez saint Thomas d'Aquin (Cerf, 2015)
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