2. Le Christ exorciste
Nous parlons aujourd'hui du mal, de Satan, de possession et d'exorcismes, ce sont là des choses étranges. Est-ce que vraiment Jésus a fait des exorcismes ? Dans cette vidéo, sœur Caroline, exégète, nous aide à distinguer ce qui est de l'ordre de la guérison et de la maladie, de ce qui est de l'ordre de l'exorcisme et du démon.
Jésus commence son ministère par des exorcismes
Pour ses contemporains, il ne fait pas de doute que Jésus était et guérisseur, et exorciste. Dans l'évangile de Marc, chasser les démons c'est même le premier acte public de Jésus (Marc 1, 21-28). Et Jésus a été un exorciste reconnu, tant par ses amis que par ses adversaires, même si ces derniers estiment que l’autorité de Jésus vient non de Dieu, mais du Mal. C’est en ce sens que les scribes disent de Jésus : « Il a Béelzéboul en lui » et « C’est par le prince de démons qu’il chasse les démons » (Marc 3, 22).
C'est ainsi que, dès le premier chapitre de son évangile, Marc nous montre Jésus qui entre dans la synagogue de Capharnaüm où le scandale se produit. Il y a là quelqu’un, dont Marc nous dit qu’il est possédé par un esprit impur ; et ce quelqu’un voit Jésus et crie :
« Que nous veux-tu Jésus de Nazareth ? Tu es venu pour nous perdre. Je sais qui tu es : le Saint de Dieu. » (Marc 1, 24)
Mais entre le Saint de Dieu et l’esprit impur, il n’y a aucun compromis possible et Jésus ordonne à l’esprit de se taire et de quitter cette personne.
Cet exorcisme à Capharnaüm n'est que le premier d'une longue série. Non seulement, Jésus était reconnu pour pratiquer des exorcismes, mais même, cette pratique a partie liée avec son enseignement.
C’est quoi la différence entre un exorcisme et une guérison ?
C’est vrai que nous voyons assez bien Jésus comme un guérisseur. Jésus est sensible à la souffrance d’autrui et soulage le corps en souffrance. Jésus est proche du malade, il a de la tendresse.
Mais un exorcisme ce n’est pas une guérison, c’est très différent : Le malade se rebelle, agresse ; il y a de la violence. L'exorcisme est un combat dans lequel l’exorciste est confronté non pas à un corps malade, mais à une puissance surnaturelle qui s'est emparée du corps d'une personne humaine.
Qu’est-ce que cela signifie : « être possédé » ?
Parler de ‘’possédé’’ pour désigner le malade correspond littéralement à la réalité. Un « possédé » est une personne qui a été expulsée et exilée hors d’elle-même ; elle est comme occupée par une puissance étrangère.
Le possédé a perdu sa personnalité et sa liberté, il a perdu le contrôle de sa volonté, au profit d’une puissance qui le possède. Le possédé est devenu la face visible de la force invisible qui le possède et se manifeste à travers lui. Et le drame est là : le possédé est aliéné ; il a perdu sa subjectivité et sa capacité à dire « je ».
Et l’exorcisme sera une lutte à mort. Jésus s’adresse au démon – et non à la personne possédée : « Tais-toi et sors de lui ». Finalement, un exorcisme est un miracle de libération : l’exorcisme permet le retour du « je » exilé, et l’individu retrouve sa liberté et sa dignité de sujet.
Comment comprendre cette présence d’esprits impurs ?
Il faut se remettre dans le contexte de l’époque. Dans l’Antiquité, l’état de maladie donnait lieu à deux types d'explications.
1) Il y avait les maladies qui correspondaient à un dysfonctionnement du corps et une baisse de l’énergie vitale. On parlait alors d’asthénie, de « faiblesse », et la thérapie contre cette maladie-faiblesse consistait à restaurer la vitalité du sujet ou à agir sur l’organe défectueux. C’est à cette situation que correspond le miracle de guérison : le guérisseur charismatique – et Jésus de Nazareth en est un éminent ! – intervient pour supprimer ce qui mine et détruit la santé de la personne.
2) L’autre explication est mythologique. On croyait qu’anges et démons se livraient un combat sans merci pour la domination sur le monde – et les êtres humains sont pris dans cet affrontement. Le dysfonctionnement, le mal-être est alors compris comme le résultat de la colonisation de l’être humain par un esprit mauvais. Le remède considéré comme adéquat est l’exorcisme qui apparait comme un acte par lequel l’exorciste combat cette force occupante et la chasse hors de l’être humain.
Dans la maladie-possession, l’exorciste – Jésus pour nous – ne rencontre pas une personne malade, mais il affronte le Mal radical ; il affronte ce qui défigure l’être humain, ce qui abime son humanité.
Et aujourd’hui, c’est encore vrai ?
C’est en fait un appel à se concentrer sur l’essentiel, et les possessions-exorcismes nous posent au moins deux questions.
Une question anthropologique : est-il vrai que l’être humain peut perdre sa liberté, être aliéné au point de ne plus savoir ce qu’il fait, au point de ne plus être ni maître, ni conscient de ses actes ? Si oui, nous sommes en présence d’une maladie dont les Anciens rendaient compte en recourant à une explication mythologique, et dont nous, aujourd’hui, nous dirions qu’elle relève de la psychiatrie.
Et il y a une question théologique : le Christ Jésus peut-il vraiment rendre à l’être humain la maîtrise de soi perdue et lui rendre sa subjectivité ? Dans la rencontre avec Jésus, avec la Parole, la personne humaine peut-elle retrouver la liberté de ses choix et de ses « essentiels » (valeurs).
A son époque, c’est quoi la différence entre les exorcismes de Jésus et ceux des autres exorcistes ?
Au cœur de la prédication de Jésus, il y a la proclamation du Règne
La prédication de Jésus s’ouvre par l’annonce du Règne de Dieu :
« Le Règne de Dieu s’est approché ; convertissez-vous » (Marc 1, 15).
Dans la suite de sa mission, Jésus va donner corps à cette proclamation du Règne de Dieu. Au cœur de la vie quotidienne des personnes humaines, Jésus pose les signes du Règne de Dieu : communion accordée aux pécheurs, guérisons et exorcismes apparaissent comme des signes du salut maintenant.
Un passage de Luc nous montre bien le sens que Jésus donnait à ses exorcismes :
« Si c’est par le doigt de Dieu que je chasse les démons, alors le Règne de Dieu vient de vous atteindre. » (Luc 11, 20)
Jésus affirme plusieurs choses importantes : d’une part, l’autorité avec laquelle il agit vient de Dieu – de Dieu, et non du Mal. D’autre part, si maintenant Jésus expulse les esprits mauvais, cela signifie que le Mal recule dans le monde et que maintenant le Règne de Dieu impacte la vie des êtres humains.
Donc, pour Jésus – et les croyants d’hier et d’aujourd’hui – les exorcismes font partie des signes qui disent que le Règne est là maintenant. Et lorsque Jésus menace les démons, il prononce la parole qui réduit à rien les forces hostiles au dessein de salut de Dieu pour chaque être humain.
L’exorcisme rend le Règne de Dieu tangible pour le monde, en ce sens qu’il libère les êtres humains de ce qui abîme l’humanité, qu’il délivre les personnes humaines de ce qui aliène la liberté. Signe du Règne, l’exorcisme manifeste l’offre par Dieu d’une vie libre et heureuse, une vie choisie en amitié avec Dieu et les autres personnes humaines.
Pour le dire avec les mots de l’évangéliste Jean, l’exorcisme montre la Gloire de Dieu, c’est-à-dire la présence aimante et salvifique de Dieu dans le monde.
Est-ce que nous combattons tous le démon ?
Jésus envoie les disciples pour prêcher avec pouvoir de chasser les démons (Marc 3,13-14 ; voir aussi Marc 6,7). Ce n’est pas réservé aux prêtres ou à quelque catégorie de baptisé.e.s que ce soit. Mais toute personne disciple (baptisée) est appelée à poser les signes du Règne. Chaque fois que je pose un geste qui permet à quelqu’un d’aller mieux, d’être plus heureux, moins malheureux, à une personne de se sentir moins seule, bref, le moindre geste qui rend le Règne tangible, qui fait reculer même d’un centimètre le Mal en faisant reculer le mal-être d’une personne, c’est chasser les démons.
Alors, en route !
sœur Caroline Runacher
Sœur Caroline Runacher, de la Congrégation Romaine de Saint Dominique, est docteur en exégèse de l'Université de Strasbourg. Elle a soutenue sa thèse, en 1992, sur la guérison de l’épileptique en Marc 9, 14-29. Elle a longtemps été doyen de la faculté de théologie de l'Université Catholique de Lille. Elle a, entre autre, publié : Croyants incrédules. La guérison de l'épileptique, Marc 9, 14-29, coll. Lectio Divina 157, Cerf, 1994. Saint Marc, Ed. de l’Atelier, 2001.
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