8. Dieu est juste ou miséricordieux ?
Sœur Marie-Laure : On entend souvent que le Dieu de l’Ancien Testament est un juge un peu terrible et que celui du Nouveau, par contre, est plein d’amour et de miséricorde. Mais comme c’est le même Dieu d’un testament à l’autre et que Dieu ne peut se renier lui-même, cette idée est fausse ! Ce que dit le psaume 116 convient aussi bien au Dieu de l’Ancien que du Nouveau Testament : « Le Seigneur est bienveillant et juste ; notre Dieu fait miséricorde. » (Psaume 116, 5)
Frère David : Cependant, il faut reconnaître qu’il est difficile de comprendre comment Dieu peut réussir à être l’un et l’autre. Car chez les hommes, il est rare de trouver une personne qui soit à la fois juste et miséricordieuse.
Sœur Marie-Laure : En effet ! Quand on pense « justice », on imagine quelqu’un de froid, d’impassible, de dur. Et quand on pense « miséricorde », on imagine, au contraire, une personne compréhensive, clémente, indulgente, douce et compatissante !
Frère David : Alors quoi ? Dieu est-il plus juste ou plus miséricordieux ? Plus père intraitable ou plus papa gâteau ?
Sœur Marie-Laure : La toute première chose à rappeler, c’est qu’en Dieu, toutes les qualités, comme la vérité, la sagesse, la justice, la miséricorde ne font qu’un. Impossible, par conséquent, de les opposer.
Frère David : Oui, mais puisque, chez nous les hommes, justice et miséricorde n’ont pas les mêmes effets, il est légitime de chercher ce qu’elles ont de spécifique, d’observer, comme en chimie, ce qui les constitue et les distingue !
Sœur Marie-Laure : Le plus simple, peut-être, est de commencer par voir ce qu’elles ne sont pas en Dieu. Dieu n’est pas miséricordieux et juste comme nous, nous le sommes.
Frère David : Prenons la miséricorde ! Un homme plein de miséricorde s’attriste du mal qui affecte autrui. Jésus, en tant qu’homme, a eu pitié de la femme adultère. La miséricorde implique donc une certaine tristesse, une certaine souffrance. C’est le premier aspect. Mais il y a un deuxième aspect dans la miséricorde. Celui qui est, pour de bon, miséricordieux va chercher à agir en faveur de son prochain.
Sœur Marie-Laure : Est-ce que ces deux aspects s’appliquent à Dieu ?
Frère David : Dieu, lui, est toujours dans la joie : il est Dieu ! Il est « impassible ». Sa manière d’être miséricordieux ne comporte donc pas de tristesse. Mais Dieu possède, en revanche, et en plénitude, le second aspect de la miséricorde : celui qui consiste à faire tout ce qui est en son pouvoir pour chasser la misère ou le mal d’autrui.
Sœur Marie-Laure : Dieu est donc miséricordieux en tant qu’il agit pour remédier à la misère des hommes. Et sous ce rapport-là, Dieu est suprêmement miséricordieux ! Personne d’autre que lui n’a autant fait pour nous secourir et nous venir en aide. Personne n’a autant donné et mouillé la chemise que lui !
Frère David : Voyons, à présent, la justice. Quelqu’un de juste rend à chacun ce qui lui est dû. C’est une personne qui pose des actes conformes au bien et à la sagesse. Chez nous, cette justice a bien souvent quelque chose de froid et d’impersonnel. Pas toujours, bien sûr ! Mais comme nous n’avons pas, comme Dieu, accès au cœur des gens, notre jugement est toujours un peu abrupt. Nos actes ne sont pas parfaitement ajustés, équilibrés. Il y a toujours du jeu entre la réalité et nos jugements.
Sœur Marie-Laure : Ce n’est pas le cas en Dieu. Parce qu’Il est omniscient, Il sait parfaitement ce que chaque homme a fait de bien ou de mal, ce qu’il aurait pu faire et ce qu’il n’a pas fait, etc... Ses jugements et ses décisions sont parfaitement adaptées, ajustées, équilibrées.
Frère David : Mais, alors, comment comprendre que Dieu soit à la fois juste et miséricordieux ? Car si la justice réclame, par exemple, que le pécheur soit puni à la mesure du mal qu’il a commis, la miséricorde, elle, réclame la clémence !
Sœur Marie-Laure : En vérité, la miséricorde divine ne va jamais contre sa justice mais elle va au-delà d’elle. Comme le dit saint Thomas d’Aquin : « La miséricorde ne supprime pas la justice, mais elle est une certaine plénitude de justice [2] ».
Frère David : Saint Jean Paul II, par exemple, nous a fait entrevoir cela quand il est allé en prison rencontrer celui qui avait tenté de l’assassiner et qu’il lui a offert son pardon. Ali Agça a été pardonné mais il n’est pas sorti de prison. Il était juste qu’il subisse sa peine. La miséricorde ne supprime pas, en effet, la justice.
Sœur Marie-Laure : Dieu, lui, aurait pu aller plus loin. Parce qu’Il est la source, le principe de toute justice, de tout droit et de toute miséricorde, Il aurait pu, sans être injuste, offrir le pardon à cet homme pécheur et le libérer sur le champ de la prison. Mais ce pouvoir ne revient qu’à Celui qui peut tout, qu’à Celui qui est cause de tout !
Frère David : C’est ce que Jésus explique à ses disciples dans l’une de ses paraboles. Un maître décide de remettre à tous ses ouvriers, même à celui qui a travaillé le dernier, le même salaire. L’ouvrier de la première heure lui dit que ce n’est pas juste : il a travaillé plus dur que celui de la dernière heure. Mais le maître lui répond :
« Mon ami, je ne te lèse en rien : n’est-ce pas d’un denier que nous sommes convenus ? Prends ce qui te revient et va-t’en. Il me plaît de donner à ce dernier venu autant qu’à toi : n’ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? Ou faut-il que tu sois jaloux parce que je suis bon ? » (Matthieu 20, 13-15)
Sœur Marie-Laure : Ce que nous montre cette parabole, c’est qu’il y a un ordre entre la justice et la miséricorde divines : la miséricorde est toujours première en Dieu. Elle fonde la justice et la déborde toujours.
Frère David : Si le pardon de Dieu est un effet de sa miséricorde, c’est aussi un effet de sa justice ! En raison de l’amour qu’il a causé dans le cœur, par exemple, de Marie-Madeleine, il était juste de lui pardonner. C’est ce que dit Jésus à Simon qui lui reproche son attitude envers cette femme pécheresse : « Ses nombreux péchés lui sont pardonnés parce qu’elle a beaucoup aimé » (Luc 7, 47). Au nom de la charité qu’elle a montrée, il était juste que Dieu lui offre le pardon. La miséricorde éclate donc dans le pardon des pécheurs mais elle n’exclut pas non plus la justice ! D’ailleurs, même quand Dieu nous punit, il punit avec miséricorde : il ne punit jamais les pécheurs autant qu’ils devraient l’être !
Sœur Marie-Laure : Ce que la miséricorde de Dieu nous manifeste donc, en dernier lieu, c’est sa toute-puissance ! C’est ce que disait déjà le livre de la Sagesse : « Tu as pitié de tous, parce que tu peux tout ! » (Sagesse, 11, 23). Chez nous, qui ne pouvons pas tout, notre miséricorde sera plus faible et plus imparfaite.
Frère David : Mais ce n’est pas une raison pour ne pas chercher à faire toujours mieux. En Jésus Christ, nous avons l’exemple d’un homme parfaitement juste et miséricordieux ! Imitons-le donc autant qu’il est possible !
frère David Perrin
Avant d'entrer dans l'Ordre Dominicain, frère David étudiait la littérature française. En 2020, il est directeur du studium de philosophie de Bordeaux. Il y enseigne, entre autres, l'anthropologie et la philosophie de l'art. Il a publié sa thèse : "Jean Giono, itinéraire d'un homme sans Dieu" (Classique Garnier, 2021)
sœur Marie-Laure Larcher
sœur Marie-Laure Larcher est dominicaine du Saint-Nom-de-Jésus. En 2020, elle est professeur de sciences-physiques et chimie et réside dans la communauté de Toulouse. Elle est membre du Groupe Albert-le-Grand qui rassemble des dominicain(e)s réfléchissant sur des questions scientifiques.
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