6. La morale, juste des devoirs ?
Pour réfléchir en moral, on prend toujours des exemples.
Je suis invité à dîner chez une amie. Eh oui, j'ai des amis et elle me sert une magnifique tarte au citron comme je les aime. Problème, j'aime me poser des problèmes. C'est un vendredi de carême et je me suis fixé comme objectif de me priver de pâtisserie. Que faire ?
Blanc – Respecter la règle des vendredis de carême. C’est la morale du devoir.
Noir – Non, manger avec reconnaissance la tarte au citron, ça fera plaisir à mon amie. C’est ce qu’on appelle la morale des vertus.
Blanc – C'est une question de cohérence. Si je commence à adapter les règles fixées chaque fois qu'une circonstance m'y invite, ça ne sert à rien de me fixer une règle. Au fond cette amie n'est-elle pas une tentatrice ?
Noir – La règle qui doit être au-dessus de tout est la règle de la charité. Je suis invité par quelqu'un pour l'honorer. Je dois accepter ce qu'elle me sert.
Blanc – Au nom de la charité, on peut faire tout et n'importe quoi. Il y en a qui ont brûlé des soi-disantes sorcière par charité, pour sauver leur âme. Et puis quand tu dis "Je dois accepter ce qu'elle me sert", tu te donnes une nouvelle règle. Pourquoi serait-elle plus charitable que l'autre ?
Noir – En fait, la question n'est pas de choisir la meilleurs règle. Les règles sont toujours générales. Et les situations toujours complexes et uniques. Au lieu de décider en fonction d'une règle, il faut aussi prendre en compte la personne et ce qu'elle vit, le contexte et l'esprit de la règle.
Blanc – L'esprit de la règle, ce n'est pas à toi d'en décider. La règle a été établie par des gens plus compétents que toi.
Noir – Oui la règle est importante. Mais l'esprit de la règle encore plus. Dieu nous a donné son Esprit Saint pour éclairer notre conscience. Ne doutons pas trop alors de notre capacité de jugement. En plus, manger une tarte au citron n’est pas quelque chose de grave en soi. Dans ce cas, il faut bien juger en fonction de la situation
Morale du devoir, morale des vertus. Le débat existe toujours. Evidemment, nous avons besoin de règles. Mais le but de notre vie n’est pas de respecter des règles, mais de devenir des saints et des saintes. Respecter des règles ne fait pas de moi un saint. Mais ce qui fait de moi un saint c’est faire ce qui est juste au bon moment sous l’inspiration de l’Esprit-Saint. Tout cela pour être porteur de bonheur et m’acheminer vers la vie éternelle… où je l’espère, il y aura des tonnes de tartes au citron !
Frère Jacques-Benoît Rauscher
Frère Jacques-Benoît Rauscher enseigne la théologie morale et l'éthique sociale à l'Université de Fribourg en Suisse. Avant d'entrer dans l'Ordre dominicain, il était professeur de Sciences Économiques et Sociales et participait à une équipe de recherche en sociologique (Sciences Po/ CNRS). Il a récemment publié quelques ouvrages : L’Église catholique est-elle anticapitaliste ? (Presses de Sciences Po, 2019) - Des enseignants d'élite ? Sociologie des professeurs de classes préparatoires (Cerf, 2019) - Découvrez la doctrine sociale de l’Église avant d'aller voter (Cerf, 2022).
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