10. L’intelligence artificielle peut aider à lire la Bible ?
Blanc : L’intelligence artificielle a déjà permis de faire des bons considérables à beaucoup de sciences : à la statistique, à la sociologie, à l’économie – bien sûr – à la médecine et même aux mathématiques. Dans tous les domaines, elle montre une considération plus vaste et une analyse plus fine de ce qu’elle étudie. Se pourrait-il un jour que l’ordinateur devienne meilleur théologien que moi ? qu’il puisse en dire plus sur Dieu que moi ?
Noir : Rien que ça ? La parole de Dieu ? Tu veux dire que ton ordinateur va mieux capter Dieu que nous ?
Blanc : C’est une réflexion sérieuse que je te propose. Je ne suis pas en train de te dire que mon ordi à une relation privilégiée avec Dieu. Bien sûr, non. Un ordinateur n’a pas d’élan mystique. Il ne prie pas. Il n’éprouve rien. Mais il raisonne mieux que nous sur bien des points ; il va plus loin ; il confronte plus de données. Si on lui faisait faire de la théologie ?
Noir : Tu veux dire qu’on lui fasse lire de la théologie et qu’on lui demande de poursuivre le raisonnement ?
Blanc : Oui, c’est ça ! Sais-tu qu’en maths c’est un ordinateur qui a démontré le Théorème des 4 couleurs ?
Noir : Le théorème qui dit qu’il suffit de 4 couleurs pour colorier la carte des départements de tous les pays imaginables ?
Blanc : Oui. Et bien c’est un ordinateur qui l’a démonté. La démonstration est tellement longue qu’il n’y a pas assez d’une vie humaine pour la lire.
Noir : Mais alors comment sait-on que c’est vrai ?
Blanc : Parce que l’ordinateur le dit et qu’il l’a vérifié.
Noir : Mais l’ordinateur – à proprement parler – ne pense pas. La théologie n’est pas une science comme les mathématiques faites de pure déduction au départ de quelques hypothèses élémentaires ! La Bible c’est tout-de-même plus compliqué qu’un triangle équilatéral !
Blanc : Qu’est-ce que c’est que l’Intelligence Artificielle ? C’est un programme informatique qui a la capacité de se modifier lui-même – c’est à dire qui est littéralement capable d’apprendre et d’évoluer par lui-même – pour atteindre plus efficacement un objectif donné : faire de meilleures prédictions, de plus amples découvertes mais aussi agir mieux que ne le feraient des programmes classiques ou nos propres raisonnements. L’intelligence artificielle c’est un logiciel qui s’autonomise en apprenant, qui s’améliore par ce qu’il découvre.
Noir : Tu veux dire qu’il raisonne comme nous, mais avec la puissance de calcul des ordinateurs ?
Blanc : Et sans se fatiguer… C’est fini l’image des ordinateurs qui exécutent simplement une série d’instructions qu’un programme leur donne, l’image du robot enchaînant automatiquement les opérations qu’on lui dicte. [Un peu comme Chaplin dans les Temps Modernes.] Désormais les ordinateurs sont capables d’établir leurs propres schémas sur des volumes de données gigantesques, qui sont hors d’atteinte de notre seul cerveau. Ils voient considérablement mieux que nous, plus de choses que nous et sont bien mieux informés d’une quantité impressionnante de détails sur tout ce qu’ils observent. C’est ce qu’on appelle la science du Big Data : pouvoir tirer des schémas simples de montagnes de données. Et Dieu c’est du Big Data !
Noir : Que veux-tu dire ?
Blanc : Imagine qu’on fasse lire à une intelligence artificielle toute la Bible, puis tous les Pères de l’Église, tous les exégètes, tous les textes chrétiens depuis deux mille ans. Imagine une intelligence qui aurait « en tête » tout l’Ancien Testament, tout le Nouveau, tout Thomas d’Aquin, tous les écrits des papes mais aussi ceux des philosophes athées. Imagine qu’on puisse faire lire à un ordinateur tous les livres de notre immense bibliothèque : peut-être pourra-t-il faire des rapprochements que personne encore n’a faits, parce que personne n’a lu toute notre bibliothèque, encore moins ne l’a toute en tête.
Noir : De là ton idée qu’il devienne un bon théologien ? Je suis d’accord avec toi : l’intelligence artificielle aura toujours lu plus de choses que nous et, comme elle apprend à raisonner en nous observant – et qu’elle le fait mieux que nous – elle pourrait découvrir dans nos textes des choses que nous n’avons pas pu voir. Au fond, puisqu’elle simule mieux que nous notre propre intelligence, pourquoi ne pas lui apprendre à raisonner comme un théologien ? Tu as raison.
Mais n’est-ce pas encore une vision de Dieu comme un grand architecte ? … qui gère le monde sur son grand ordinateur, précisément ! Une vision mécanique de la théologie ?
Blanc : C’est une vision mécanique du langage, c’est sûr. Mais c’est par des mécanismes d’apprentissage que progresse toute science. L’ordinateur ne fait rien d’autre. Désormais il apprend comme nous et il le fait bien.
L’intelligence artificielle ne fait que déployer notre regard : elle voit des choses que nous sommes incapables de voir de par sa capacité à tirer des schémas logiques de quantités gigantesques de données. Elle agit comme un télescope braqué sur l’intelligence, ce qui lui permet de voir des choses qui ne nous étaient pas encore apparues.
Noir : Mais l’ordinateur n’a pas la Foi : il ne fait que recouper des discours de croyants.
Blanc : On pourra mieux comprendre la parole de Dieu grâce à l’intelligence artificielle.
Noir : mais on ne pourra mieux la comprendre qu’à la lumière de sa propre foi.
Blanc : On peut dire que l’intelligence artificielle...
Noir : …pourra éclairer l’intelligence qui cherche Dieu.
frère Laurent Mathelot
Le frère Laurent Mathelot est dominicain de la vice-province de Belgique. Mathématicien et théologien, il étudie les questions de logique en philosophie du langage. Il est membre du Groupe Albert-le-Grand qui rassemble des dominicain(e)s réfléchissant sur des questions scientifiques. Il réside actuellement au Couvent Saint Albert-le-Grand de Liège (Belgique).
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