5. L’âme, qu’est-ce que c’est ?
Il y a de petits mots de la langue chrétienne que l’on emploie tout le temps, mais qui paraissent bien difficiles à expliquer. C’est le cas du mot « âme ». Imaginez qu’un de vos proches, qui ne connaît rien à la foi, vous accompagne un jour à l’Église et vous demande ce que veut dire ce mot, entendu dans les chants ou les prières… pas facile de répondre ! Le frère Matthieu vous propose quelques explications.
Les sciences modernes se limitent à étudier ce qui est matériel, mesurable : le scientifique ne voit en l’humain qu’un corps, et les progrès incroyables de la médecine semblent confirmer cette vision de l’humain. Que faire alors de la longue tradition chrétienne qui insiste tant sur l’âme humaine ?
Les sources bibliques
Revenons d’abord aux sources bibliques. L’humain est créé à la fois corporel et spirituel – créé à partir de glaise et d’une haleine de vie, nous dit symboliquement le livre de la Genèse.
C’est ainsi qu’on peut définir l’âme : l’âme est la dimension non sensible, immatérielle, de l’humain. Si la tradition chrétienne l’appelle âme, la philosophie aujourd’hui préfère parfois l’appeler esprit, vie, ou même conscience ou sujet.
Si le corps humain peut être atteint par la maladie ou la violence des hommes, l’âme, qui est immatérielle, peut être affaiblie mais pas détruite. Elle demeure, en l’être humain, le signe indélébile de sa création à l’image de Dieu.
Ce signe est tellement indélébile que l’Église enseigne que l’âme ne disparaît pas même lors de la mort. A la mort, alors que le corps se désagrège, l’âme, elle, séparée du corps, demeure immortelle. L’âme assure ainsi la continuité de l’existence individuelle entre la mort et la résurrection des corps.
Ok, il y a des enjeux importants à ne pas réduire l’humain à son corps… Mais l’humain est-il alors divisé entre son corps et son âme ?
De manière caricaturale, deux grandes traditions philosophiques s’opposent au sujet des rapports entre l’âme et le corps depuis l’Antiquité :
Les tendances platoniciennes
Si l’humain est composé de deux réalités (le corps matériel et l’âme spirituelle), on a toujours été tenté d’imaginer ces deux réalités – encore plus depuis Descartes – comme deux briques de Lego qu’il faudrait emboîter d’une manière ou d’une autre. Par exemple, Platon imagine le rapport de l’âme à son corps comme un pilote manœuvrant son paquebot !
En théologie, cette conception permet d’expliquer comment l’âme peut subsister séparée de son corps après la mort, en attendant la résurrection des corps. Même si son corps se désagrège et disparaît, l’âme demeure.
Mais à l’inverse, cette philosophie a entraîné des excès pervers. On en est venu à penser l’humain comme déchiré entre son âme et son corps. Le corps n’est alors plus qu’une prison pour l’âme dont il faut qu’elle se libère ! Pourtant, Dieu n’a pas créé l’humain comme une pure âme – « et Dieu vit que cela était bon » – et même très bon !
Les tendances aristotéliciennes
C’est alors qu’entre en scène Aristote, élève de Platon, qui n’était pas satisfait de cette concurrence entre l’âme et du corps. Pour lui, toute réalité est composée de matière (en grec, υλη) et de forme (μορφη). C’est ce qu’on appelle l’hylémorphisme [En aparté : Mot 30 points au Scrabble !]. Et l’homme lui aussi, est constitué d’un corps, et d’une âme qui est la forme de ce corps. Bon, d’accord, ça ne paraît pas très clair comme cela…
Prenons un exemple : un fleuve. On le sait bien : on ne se baigne jamais deux fois dans la même eau. Ce ne sont donc pas les molécules d’eau, qui définissent le fleuve ! Ce qui le définit, c’est plutôt son contour, sa forme. Et pourtant, on ne peut pas évacuer l’eau de la définition du fleuve, car sans eau, le fleuve n’est plus un fleuve mais un ravin. Matière et forme sont donc intimement liées !
De la même manière, l’âme et le corps, en l’humain, sont profondément unis : on ne peut pas penser l’âme sans le corps, ni le corps sans l’âme. Et ça, c’est très biblique !
Mais il y a un coût à payer : l’âme et le corps sont liés au point de ne pas pouvoir exister séparément. Pour Aristote, quand le corps se désagrège lors de la mort, l’âme doit aussi disparaître. Et ça, ça rend difficile toute explication de la résurrection !
La tradition chrétienne
C’est pourquoi la tradition chrétienne s’inspire de l’une et de l’autre tradition, tout en les critiquant. Saint Thomas d’Aquin, par exemple, propose une voie moyenne, reprenant les avantages de chaque tradition : il dit bien, comme Aristote, que l’âme est la forme du corps ; mais cette forme a la propriété étonnante, grâce à sa qualité d’image de Dieu, de subsister au-delà de la mort. Cependant, l’âme, puisqu’elle est forme du corps, reste profondément insatisfaite tant qu’elle n’est pas réunie à son corps, lors de la résurrection finale.
Finalement, en parlant d’âme, la tradition chrétienne indique que l’être humain ne peut se réduire à sa dimension matérielle. Il est un être à la fois corporel et spirituel. Cependant, la spécificité de la réflexion chrétienne est de penser ensemble cette double dimension de l’humain : c’est en ce sens que l’Eglise parle de l’âme comme de la forme du corps.
frère Matthieu Palayret
Après une formation scientifique en France, frère Matthieu Palayret a obtenu un doctorat en biophysique à Cambridge (Royaume-Uni). Il est membre du Groupe Albert-le-Grand qui rassemble des dominicain(e)s réfléchissant sur des questions scientifiques. En 2021, il réside au couvent du Caire.
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