4. Comment faut-il construire les églises ?
Frère Charles, bonjour.
Bonjour frère Franck,
Bienvenue ici au couvent des Dominicains de Lille. Frère Charles, tu es architecte du patrimoine, spécialiste des questions liturgiques, et tu viens dans ce magnifique couvent pour nous parler d’églises et d’architecture.
Alors, commençons simplement : qu’est-ce qu’une église ?
L’église, le bâtiment église, est le lieu où se rassemblent les chrétiens pour prier Dieu et célébrer ensemble la résurrection de Jésus-Christ. C’est donc un lieu d’une liturgie, un lieu où on se retrouve ensemble, toute l’Église. D’ailleurs, l’étymologie grecque du mot « église » exprime cette idée : « ekklésia » en grec signifie « l’assemblée », c’est-à-dire un groupe de personnes convoquées, pas un troupeau, pas des gens venus par hasard, mais une assemblée de gens appelés à se retrouver en ce lieu. Cela a donné en latin « ecclésia », l’Église avec un grand E, c’est-à-dire la communauté des croyants. Et finalement, on a donné au bâtiment, le lieu où nous nous rassemblons pour célébrer, le nom d’église. Il y a donc l’Église avec un grand E et l’église avec un petit e.
Il y a beaucoup de types d’églises. On parle de cathédrale, de basilique, de chapelle... Peux-tu nous éclairer sur les différences entre ces termes ?
Le mot « église » est devenu un terme générique, mais il désigne des édifices très divers.
- L’église paroissiale est l’église que l’on trouve dans nos quartiers et dans nos villages.
- La cathédrale est l’église située au cœur du diocèse, c’est là où se trouve l’évêque, là où il y a la cathèdre, le siège de l’évêque.
- Les basiliques sont des lieux de pèlerinage ou des lieux d’apparitions mariales.
- Les collégiales, parce qu'il y a un collège de chanoines, ou bien les priorales ou les abbatiales, qui sont les églises des monastères.
- Quand l’église est plus petite, on parle plutôt d’oratoire ou de chapelle.
Une question simple : au temps de Jésus, il n’y avait pas d’églises. Quel est alors le lien entre Jésus et l’église ?
Effectivement, Jésus ne nous a pas donné de plan pour construire des églises. Contrairement à l’Ancien Testament, qui comporte un code rituel et une description complète et très savante même du Temple de Jérusalem, le Nouveau Testament reste silencieux sur l’architecture. Jésus, cependant, souligne l’importance du lieu de prière. Quand il vient pour la première fois à Jérusalem, il chasse les marchands du Temple en déclarant : « Ne faites pas de la maison de mon Père une maison de commerce. » Il est donc attentif à cette maison, à ce lieu où on se rassemble pour prier, mais il nous interpelle aussi pour nous dire que ce qui compte en premier, c'est bien la communauté qui se rassemble là et qui doit célébrer en vérité.
Jésus prêchait dans les synagogues, n’est-ce pas ?
Oui, mais il a parfois été rejeté dans ces lieux. Au moment de son procès, une accusation porte sur le Temple : « Il a dit : Je détruirai ce temple et en trois jours, je le rebâtirai. » Jésus parlait du temple de son corps, mais cela souligne encore que l’essentiel est la communauté croyante, bien plus que le bâtiment.
Maintenant, venons-en aux premiers chrétiens : pourquoi n’ont-ils pas continué à prier dans les lieux de culte existants, comme les synagogues ou le Temple ? Pourquoi les premières communautés chrétiennes, après la mort et la résurrection du Christ, ont dû inventer de nouveaux lieux de culte ?
Le dernier repas de Jésus, la Cène, va offrir les prémices de ce qui deviendra plus tard pour nous la messe, mais qu'on appelle dans les premiers temps la fraction du pain, l'Eucharistie. Les chrétiens issus du judaïsme, et ils sont nombreux dans les premiers temps, les judéo-chrétiens, vont continuer à fréquenter la synagogue le samedi pour le Shabbat. Et le lendemain, le premier jour de la semaine, le dimanche, ils se retrouvent pour faire mémoire de la résurrection de Jésus et pour la fraction du pain. Ils vont le faire dans une maison, tout simplement, donc un lieu très domestique. En général, l’un des chrétiens les plus aisés de la communauté mettait sa maison à disposition. Tous se retrouvaient dans le triclinium, c’est-à-dire la salle à manger, et s’ils étaient nombreux, dans le patio, juste à côté. On ne peut pas tenir tellement à plus de 30-40. La villa Anaploga à Corinthe nous donne un bon exemple de ce que Saint-Paul a pu voir.
A-t-on des traces de ces premières maisons où se réunissaient les chrétiens ?
Ces premières maisons ont souvent disparu, mais elles ressemblaient à n’importe quelle habitation de l’époque. Cependant, un peu plus tard, on a construit des édifices spécifiquement pour le culte chrétien. Ils avaient toujours un peu la même forme, on les appelait maison-église. On a retrouvé en Syrie, à Doura Europos, une maison-église bien conservée du IIIe siècle. On y retrouve une salle pour l’Eucharistie, une autre pour la catéchèse, et une salle spécialement dédiée au baptistère. En effet, c'est évident, dans les premiers siècles, il était essentiel de pouvoir baptiser ceux qui adhéraient nouvellement à cette religion chrétienne.
Alors, on reconnaît des éléments qui nous sont familiers : le baptistère, le lieu de l'Eucharistie, le lieu de la catéchèse. On est encore assez loin des églises qu'on connaît. Comment ces maisons ont-elles évolué pour devenir les grandes églises que nous connaissons ?
Le tournant s’est produit au IVe siècle, lorsque le christianisme devient une religion tolérée sous Constantin (313, édit de Milan). L'empereur va lancer l'édification d'édifices monumentaux et de ce qu'on appellera les basiliques chrétiennes. Ce sont les premières églises : on quitte le domaine du vernaculaire, de la petite maison domestique, pour arriver dans l'église paléochrétienne. On a des exemples de ces premières basiliques à Rome. La première grande basilique est ce qui est aujourd'hui la cathédrale du pape : Saint-Jean-de-Latran, un premier édifice monumental. Et puis il y aura d'autres basiliques : Saint-Pierre du Vatican, Sainte-Marie-Majeure ou Saint-Paul-Hors-les-Murs. Cet ensemble de premières basiliques va s’inspirer d’un modèle qui existait déjà, un modèle d'architecture profane : les basiliques romaines antiques. C’était des sortes de grands gymnases permettant d'accueillir beaucoup de monde et qui servaient de tribunaux, de lieux de commerce, des espaces solennels, mais pas sacrés.
On ne reprend donc pas les modèles des temples païens ou juifs pour construire ses basiliques ?
Non, et ça, c'est vraiment très spécifique : les temples grecs, les temples romains ne vont pas servir de référence pour construire les premières églises. D’abord parce qu'on s'en méfie. Ce serait rester trop proche des cultes païens qui entourent le christianisme naissant. On ne veut pas retrouver l’idolâtrie des cultes païens. Ensuite, dans un temple, il est impossible de faire tenir l'assemblée chrétienne. On ne peut mettre que quelques prêtres : un personnel très spécialisé. L’accès au temple est limité. Au contraire, on veut des grandes salles vastes. Or les basiliques sont des salles très grandes, voûtées, avec plusieurs vaisseaux, des colonnades et de la lumière qui arrive par le haut, qui éclaire généreusement tout l'édifice.
Alors, avec ces basiliques, on est encore loin de nos cathédrales avec leurs clochers, leurs flèches, leurs vitraux.
Le christianisme, devenu religion d'Empire, va petit à petit emprunter tout le faste de la cour impériale, s'enrichir d'une certaine manière. Certains y verront une dégradation, mais on peut aussi y voir une phase d'inculturation, de saisie finalement de tout ce monde profane qui entoure le christianisme. À partir de là, on va vouloir dire aussi la gloire de Dieu par la sculpture, par les vitraux, par les peintures monumentales, etc. Et l'audace des hommes ne s'arrêtera plus. On va aller toujours plus loin. On peut penser aux magnifiques basiliques de Ravenne, de Sainte-Sophie de Constantinople, et puis, plus tard, aux grandes chapelles, à nos grandes abbatiales romanes, à nos cathédrales gothiques. Toujours plus loin, plus haut, pour dire la gloire de Dieu, la beauté de la Création.
Et on voit bien que les styles des églises, des cathédrales dont on nous parle, épousent le temps et les lieux, entre Sainte-Sophie et Aix-la-Chapelle…
Oui, tout à fait.
Et aujourd’hui, faut-il encore construire des églises ? Et faut-il encore construire des églises selon les lieux et l'époque même où nous nous trouvons ?
Le passé nous lègue en héritage un nombre immense d’édifices extrêmement divers dans leurs formes et dans leurs styles. C'est une richesse immense pour notre temps. Il est important de continuer, d'inventer, de trouver une manière de célébrer, de vivre, en se disant que l'édifice, effectivement, répond toujours à la façon dont nous vivons notre culte, notre liturgie ensemble, et comment nous faisons nous-mêmes Église. Et on retrouve toujours cette idée que l'Église, c'est d'abord l'assemblée des chrétiens, et on imagine bien que le bâtiment autour de cette assemblée doit épouser de quelque manière les conditions de la culture et du lieu, tout en restant fidèle à l'héritage qui nous a été transmis.
Merci, frère Charles, de nous avoir introduits à ce qu’est une église.
Avec plaisir !
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