3. L’alchimie du chœur
Frère Charles, tu nous as parlé la fois dernière de l’autel, mais dans une église, évidemment, il y a d’autres éléments...
L’autel est au centre, mais il n’est jamais solitaire. D’une certaine manière, on peut dire qu’autour de lui gravitent plusieurs éléments. Deux éléments tout à fait essentiels sont l’ambon et le siège de présidence. Depuis le Concile Vatican II, c’est un peu un triptyque qui fonctionne ensemble : l’autel, l’ambon et la présidence. Ces éléments existent dans les églises chrétiennes depuis les tout premiers siècles. C’est vraiment le triptyque de départ.
Alors, on va y revenir un par un. D’abord, l’ambon : c’est un terme un peu technique. "Ambon", d’où vient ce mot ?
L’ambon vient du grec « anabaino - ἀναβαίνω », qui signifie « monter ». C’est le lieu qui nous permet d’être mis en avant, d’être bien visibles pour proclamer la Parole de Dieu. C’est plus qu’un pupitre : c’est le lieu de la proclamation. Dans les premiers siècles, les ambons étaient parfois appelés « bêma ». Ce sont des espaces importants où l’on lit la Parole de Dieu.
Un exemple d’ambon très connu est celui de l’évêque Agnellus à Ravenne, qui témoigne encore aujourd’hui de cette stature solennelle. L’ambon n’est pas un élément anecdotique. L’ambon a beaucoup évolué au cours du temps. Un autre exemple magistral se trouve à Saint-Clément à Rome, où il y avait même deux ambons : un pour l’épître (la première lecture, comme nous dirions aujourd’hui) et un pour l’Évangile, avec le cierge pascal juste à côté. Et puis, au fil du temps, notamment en Gaule, les ambons ont disparu au profit de barrières de chœur de plus en plus élevées, qu’on appelle jubés. « Jubé » c'est le nom qu'on donne parce que c'est ce que disait le diacre quand il montait sur cette barrière de cœur pour pouvoir proclamer la parole. Il commençait par demander « jube domine benedicere » - « daigne Seigneur bénir » et c'est ce qui a donné le mot jubé.
Tu parles du jubé. C’est un élément élevé, mais qu’en est-il de la fameuse chaire à prêcher, qu’on utilise peu aujourd’hui, d’où nous vient-elle ?
La chaire apparaît et se développe surtout à partir du XVIᵉ siècle. Nous avons donc l’ambon dans les premiers siècles chrétiens, le jubé au Moyen Âge, puis la chaire de prédication. Elle se situe généralement du côté de la nef et non dans le sanctuaire. Son but était d’amener la prédication au plus près des fidèles là où on entend bien. On est à une époque où il n’y avait pas de micros.
La chaire n’était pas le lieu de la proclamation de l’Évangile ou de l’Épître. Ces lectures se faisaient à l’autel : à droite pour l’Épître, à gauche pour l’Évangile. Ensuite, le prêtre prêchait en français depuis la chaire.
Du côté de l’autel, il y a souvent aussi un siège pour le prêtre. C’est ce qu’on appelle la présidence, c’est bien cela ?
Exactement. Le siège de présidence renvoie à une pratique des premiers siècles chrétiens, où l’on trouvait un synthronon, l’espace où s’installaient l’évêque et son presbyterium, c’est-à-dire les prêtres. En général, cet espace était situé dans l’abside, tout au fond de l’église. Donc il faut imaginer qu'on avait les prêtres et l'évêque dans la courbe tout au fond de l'église et le peuple dans la nef. L'autel était entre les deux. Les prêtres et les fidèles se faisaient face.
Ces éléments ont changé au cours du temps puisque l’autel s’est déplacé vers le fond de l'église. Le prêtre a dû trouver un autre espace. La présidence a perdu de son importance au fil du temps, surtout lorsque les jubés ont été détruits. Quand il y avait les jubés, on pouvait encore trouver un lieu pour les plus grands dignitaires et notamment pour le célébrant mais petit à petit ces lieux ont disparu. C’est au XXᵉ siècle, qu’on a décidé de redonner toute son importance à ce siège.
Tu as parlé des prêtres. Y a-t-il un lien entre le siège de présidence et la cathèdre ?
Oui, il existe un lien, même s’il faut distinguer les deux. La cathèdre est le siège de l’évêque dans la cathédrale. Dans les églises paroissiales, le siège de présidence a une portée plus modeste. Cependant, il dit quelque chose du lien du prêtre avec l’ensemble du diocèse et avec son évêque. C’est un siège qui dit aussi la fonction particulière du prêtre pendant la liturgie, qui agit in persona Christi, en représentant le Christ pendant la liturgie.
Donc on a compris la place du prêtre et de l'évêque. Et le peuple dans tout cela ? Comment les fidèles se tenaient-ils dans les premiers siècles ? Y avait-il des bancs ou des chaises ?
Pendant longtemps, les fidèles étaient debout et se déplaçaient librement pendant la liturgie. Au Moyen Âge, l’espace liturgique était souvent limité par le jubé. Ce n’est qu’à partir des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles que des chaises et des bancs ont été installés et vont se multiplier pour permettre aux fidèles de s’asseoir et d’écouter le prêche, la prédication du prêtre.
Aujourd'hui, on est de plus en plus aussi attentif à cet espace de la nef pour faire pleinement droit au peuple chrétien rassemblé qui célèbre avec le prêtre et l'ensemble des célébrants.
Une église sans chaises, ça nous rappelle un peu ce qui peut se faire dans les Églises orientales, les églises orthodoxes aujourd'hui par exemple, où il n’y pas toujours autant de chaises…
Oui et c'est peut-être une bonne manière quand même de nous rappeler qu'une liturgie c'est quelque chose qui doit être dynamique. On n'est pas des élèves assis sur nos chaises qui écoutent un professeur sur son estrade, avec l'autel qui serait le bureau. Non ! Une liturgie, on circule autour, on vit l'ensemble et c'est peut-être quelque chose qu'il faut retrouver sans cesse.
D’où les processions remises souvent en valeur à notre époque. Tu as parlé du peuple. Ce qui nous constitue comme peuple chrétien, c'est le baptême. Alors un dernier élément qu'on peut évoquer, c'est le baptistaire.
Le baptistère était traditionnellement placé à l’extérieur des églises. Progressivement, les grands bâtiments baptistères ont été détruits, remplacés par des cuves mobilières ou fonts baptismaux, souvent relégués dans un recoin des églises. Cependant, c’est un élément important qu’il faut sûrement remettre en valeur. Les fonts baptismaux marquent l’entrée dans la vie chrétienne et symbolisent le passage par l’eau du baptême.
Dans nos églises, c'est aussi le bénitier qui nous rappelle ce geste de l'eau. Quand on entre, tremper sa main dans l'eau bénite, c'est aussi une manière de nous rappeler que nous avons part à la résurrection du Christ, que nous sommes passés par les eaux du baptême.
Merci, frère Charles. On va s’arrêter sur cette évocation de la mort et de la résurrection. Merci de nous avoir guidés à travers ces éléments essentiels d’une église.
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