2. La Sagesse a dressé une table – l’autel
Bonjour frère Charles.
Bonjour.
Alors, où est-ce qu'on se trouve ?
Nous sommes dans le cloître du couvent des Dominicains de Lille, et nous venons de quitter la rue. Nous allons nous rendre à l'intérieur de l'église. Aujourd'hui, dans l'église, tu vas nous expliquer la place et le sens de l'autel.
Frère Charles, nous venons de rentrer dans l'église. Nous avons vénéré l'autel en nous inclinant. On l'a fait spontanément. Est-ce que tu peux nous dire la signification de ce geste ?
Quand on se rend dans une église, c'est parce qu'on est appelé, convoqué, invité. C'est assez évident le dimanche, on se rend à plusieurs dans l'église : c'est la grande Église qui rejoint la petite église pour célébrer. Mais même quand on y vient à deux, comme on vient de le faire tous les deux, on est invité. Qui est-ce qui nous invite ? C'est le Christ, Jésus lui-même, qui nous convie à sa table, au repas des noces éternelles. Et l'autel dit cela : l'autel symbolise le Christ. L'autel, c'est le Christ. Le Christ est la pierre d'angle, celle qui a été rejetée par les bâtisseurs et qui est devenue la pierre principale, la pièce centrale. L'autel, c'est cela. La 5ème préface du temps de Pâques dit bien cela, en disant que le Christ est à la fois le prêtre, l'autel et l'offrande pour le sacrifice.
Donc, vénérer l'autel, c'est vénérer le Christ, comme tu nous l'as dit. Un autel est donc toujours nécessaire pour célébrer l'Eucharistie.
Oui, on pourrait se passer des murs, d'un toit, mais l'autel est essentiel pour pouvoir y déposer les offrandes pour le sacrifice. Les scouts peuvent se passer de tout cela, mais par contre, ils construisent toujours un autel, parfois sommairement, parfois savamment. Même s'ils n'ont pas de toit,
L'autel est essentiel à l'église chrétienne. Et pourtant, nous le savons, l'autel n'est pas un privilège chrétien. Beaucoup de religions antiques avaient des autels. Il y avait des autels dans l'ancien judaïsme. Peux-tu nous dire un peu l'origine de ce qu'est un autel ?
C'est vrai que l'islam, par exemple, et le judaïsme contemporain n'ont pas d'autel. Finalement, c'est seulement le christianisme qui a gardé, parmi les trois monothéismes, cette habitude d'un grand autel central. Dans l'Orient ancien, il y avait des autels un peu partout, des autels nombreux. C'était le lieu du sacrifice. « Autel » vient du latin altare, qui signifie un lieu élevé où l'on présente des offrandes. Cela pouvait être des offrandes animales ou végétales. C'est l'homme qui rend compte de ce qu'il a reçu du Créateur. On peut penser à Caïn et Abel, par exemple. Et l'autel est toujours un lieu assez grave, puisque c'est là qu'on va rendre la vie qui nous est donnée.
Qui dit offrande animale, dit verser le sang.
Oui, le sang dans l'Ancien Testament, c'est la vie. Offrir la vie, verser la vie, est toujours un acte grave, solennel, important. C'est pour ça que l'autel n'est pas un lieu anecdotique, ce n'est pas un simple foyer. C'est un lieu de culte solennel.
Dans l'Ancien judaïsme, il y avait des autels. Peux-tu nous en dire un peu plus sur ces autels juifs du Temple ?
Oui, au Temple, il n'y avait pas un seul autel, mais plusieurs. D'abord, l'autel des holocaustes, qui était l'autel extérieur, devant le Temple. C'était l'autel le plus monumental, où on offrait des sacrifices d'animaux. Ensuite, il y avait un autel à l'intérieur du Saint, dans le Temple, qui s'appelait l'autel de l'encens. Cet autel était le lieu de l’agréable odeur, on y faisait brûler de l'encens, il était beaucoup plus petit. Il y avait aussi une grande table, la table des pains de proposition, où il y avait toujours 12 pains, qui rappelaient le repas, la convivialité entre Dieu et les hommes. Enfin, dans le Saint des saints, derrière le rideau du Temple, l'Arche d'Alliance contenait les tables de la Loi. L'autel chrétien peut être vu comme une synthèse des symboles de tous ces lieux, mais non plus à l'extérieur de l’édifice, comme dans le judaïsme, mais à l'intérieur, entouré de toute l'assemblée chrétienne.
Alors le Christ est cet autel qui résume les trois autels de l'Ancienne Alliance. Justement, que nous dit Jésus de l'autel qu'il a connu, l'autel juif, l'autel du Temple ?
Jésus nous interpelle toujours sur notre manière de célébrer, d'offrir un culte à Dieu. Il nous le dit particulièrement en parlant de l'autel. Il dit : "Quand tu t'avances, quand tu t'approches de l'autel, si tu as quelque chose à reprocher ou si tu as une réconciliation à faire avec ton frère, laisse là ton offrande et va d'abord te réconcilier avec ton frère, puis viens et offre ton sacrifice." Jésus ne dissocie pas la vie fraternelle de la vie cultuelle. Il nous rappelle bien que, offrir un culte, si on est en désaccord et si on n'est plus en communion avec son frère, cela doit nous interpeller avant de présenter notre offrande à l'autel.
L'autel est donc le lieu du sacrifice et de la réconciliation. Jésus s'est offert en sacrifice, mais ce n'était pas dans le Temple de Jérusalem. C'était autour d'un repas, le jeudi saint, avec ses disciples. Peux-tu nous en dire un peu plus sur la relation entre l'autel et le sacrifice du Christ ?
L'autel de nos églises ne se limite pas seulement au jeudi saint : il ne dit pas seulement la table du soir de la Cène où il rompt le pain et verse le vin. Il rappelle aussi le vendredi saint, la Croix, le sacrifice du Christ, et enfin la Résurrection le dimanche de Pâques. C’est tout le voyage, toute la traversée que le Christ nous fait vivre. L'autel chrétien est paradoxal : c'est à la fois le lieu de la proximité et de la convivialité de Dieu qui se fait proche des petits et des pauvres (comme dans le lavement des pieds, le jeudi saint), et le lieu du sacrifice de la Croix, où Dieu verse son sang, où Jésus donne sa vie pour nous sauver. C'est aussi l'autel des noces, de la fête de la Résurrection, avec les bougies, la nappe, les chandeliers qui l'illuminent.
Tout cela est signifié ici, dans l'autel du couvent des Dominicains à Lille, avec cette croix qui traverse l'autel, pour nous dire que Jésus a vaincu la mort. L'autel donc, est à la fois le lieu des noces, le lieu des pauvres, le lieu du sacrifice, réunis en Jésus. Mais est-ce un lieu qui divise ? C'est un peu ce dont on a l'impression ici, dans cette grande nef des fidèles et cette nef des frères, de part et d'autre de l'église. Ou bien est-ce un lieu qui unit ?
C'est les deux. Et c'est peut-être cela, ce paradoxe, cette tension de notre liturgie chrétienne, cette dynamique qui fait que, on le sent parfois, quand on s'approche de l'autel, la manière de le comprendre peut être différente chez les uns et les autres. Il faut garder les deux et c'est cette unité qui nous permet de nous approcher du Christ et de l'autel en communauté en communion fraternelle.
Le Christ si proche et pourtant aussi si mystérieux. Souvent, les autels sont liés avec les tabernacles. Tu ne nous en as pas beaucoup parlé. Peux-tu dire un mot sur ce lien entre l'autel et le tabernacle ?
Oui, pendant longtemps, il n'y avait pas de tabernacle sur les autels. Puis, à partir du XVIe siècle, on a multiplié ce qu'on appelle l'autel à tabernacle, qui permet de faire un lien très intime entre le Saint-Sacrement (les hosties consacrées) et l'autel. Depuis le Concile Vatican II, on insiste davantage sur l'autel comme table et comme lieu du sacrifice. On a donc préféré placer le tabernacle latéralement, ce qu'on appelle la réserve eucharistique, pour que les fidèles puissent adorer le Saint-Sacrement de manière plus intime, plus privée, et que l'autel soit réservé à la messe, à la communion fraternelle.
On voit dans nos églises des autels majestueux, plus humbles, en pierre, en bois. Est-ce que cela a un lien avec ce que tu viens de nous dire, la place et la taille des autels dans les églises ?
Oui, c'est vrai que les autels ont beaucoup changé de forme au cours des siècles. On a des autels tombeaux, des autels coffres, des autels monumentaux, des autels très humbles. Les matériaux varient, comme la pierre, qui est un des matériaux de prédilection pour l'autel, mais aussi le bois, très souvent utilisé dès l'Antiquité, ou encore le métal, comme le très bel autel de la basilique saint Ambroise à Milan. Toutes ces formes successives participent à la reconnaissance de ce lieu comme étant central dans nos célébrations.
Cela, on l'a bien compris grâce à toi, frère Charles. Merci de nous avoir introduits au mystère de l'autel dans les églises.
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