1. Lifting pour Notre-Dame
En 2019, Notre-Dame de Paris a brûlé dans un incendie dramatique. Depuis, on s'active pour sa réouverture et voilà, ça y est. Parmi tous ceux qui ont contribué à ce chantier, il y a le frère Charles.
Alors, frère Charles, comment se fait-il que tu aies participé à ce chantier ? Raconte-nous.
Alors, ce n'est pas en tant que frère dominicain que j'ai travaillé sur ce chantier, mais comme architecte du patrimoine. Je venais tout juste d'être diplômé, et j'ai eu la chance de participer à la réalisation d'une maquette de la charpente incendiée de la cathédrale Notre-Dame de Paris. C'était une manière de rentrer dans ce projet et de découvrir cette cathédrale, j'allais dire, de l'intérieur, au plus intime.
Alors, le chantier de Notre-Dame, ce sont les bâtiments, les pierres, l'extérieur, mais aussi l'aménagement intérieur. Et au centre de la cathédrale, un nouvel autel. Est-ce que tu peux nous en dire plus ?
Oui. Ce 8 décembre 2024, un nouvel autel est consacré. Il fait partie du tout nouvel aménagement liturgique de Notre-Dame de Paris, avec également un baptistère, un ambon, une cathèdre, un tabernacle, mais aussi un reliquaire pour la couronne d'épines ou encore des chaises pour les fidèles.
Mais explique-nous, frère Charles, pourquoi a-t-on dû remplacer l’autel ?
Lors de l'incendie de Notre-Dame, le 15 avril 2019, la flèche s'est effondrée verticalement sur les voûtes de la nef, transperçant certaines d'entre elles et faisant notamment s'effondrer la croisée du transept sur l’autel, l’autel de Jean Touret, construit en 1989. Le mobilier du sanctuaire et les chaises de la nef ont été complètement désorganisés : l'incendie, l'eau, le plomb… Il fallait tout repenser. Le fait que la cathédrale soit fermée pendant cinq ans à cause des travaux était une occasion assez unique, inespérée finalement, pour travailler sur l'ensemble du mobilier liturgique et réfléchir à la façon dont la cathédrale serait vécue et comment on allait y célébrer.
Mais est-ce qu'on n'aurait pas pu reproduire à l’identique ce qu’il y avait avant ? Pourquoi toujours changer l’aménagement liturgique ?
L’aménagement liturgique de la cathédrale Notre-Dame s’est modifié considérablement au fil des siècles. À l’origine, il y avait une grande nef vide, libre de chaises, dans laquelle les fidèles déambulaient, venaient prier. Au milieu de la cathédrale se trouvait un grand jubé, ce mur percé de portes qui séparait les fidèles de l’autel.
Derrière ce mur se trouvait l’autel, lui-même entouré de courtines, un autel gothique. Au cours des siècles et surtout au XVIIIe siècle, il y a eu des grandes modifications : le jubé a été transformé, supprimé, et un nouvel autel a été aménagé dans le chœur. Au XIXe siècle, d’autres modifications ont suivi, et plusieurs autels se sont succédé jusqu’à celui que nous connaissions avant l’incendie.
Revenir à l'identique n'aurait pas permis de répondre aux attentes de notre époque. C’était justement l’occasion de concevoir un mobilier liturgique pour notre temps, adapté à nos manières de célébrer et capable d'exprimer, même aux visiteurs non croyants, ce qui se vit dans la cathédrale.
Mais pour en revenir à ta question, c'était justement l'occasion de faire un mobilier pour notre temps, avec nos manières de célébrer. Et puis, qui puisse également dire aux visiteurs ce qui se vit dans la cathédrale.
S'appuyant sur l'orientation de la cathédrale, qui est tournée vers l'Est, vers le soleil levant, le Christ ressuscité, on a dessiné un grand axe de gloire. Cet axe part de l'entrée de la cathédrale à l'Ouest. On y trouve d'abord le baptistère, puis, en avançant dans la nef, on arrive jusqu'au sanctuaire où se trouvent l'autel, l'ambon, la présidence et la cathèdre. Enfin, on poursuit notre route jusqu'à la grande croix de gloire de Marc Couturier et le tabernacle, qui est à ses pieds.
Ainsi, une grande dynamique nous mène de l'entrée jusqu'à la gloire du Ciel. Cet axe de gloire qui servira de référence pour le nouveau mobilier liturgique de la cathédrale.
Mais alors, frère Charles, comment on s'y est pris pour recomposer ce nouveau mobilier ? Il y a eu un concours ? Comment ça s'est passé ?
Un concours international a été lancé en 2023. Cinq artistes ont été retenus. La tâche n'était pas simple, puisqu'il fallait faire dialoguer l'art contemporain et la théologie, une tâche toujours exigeante.
Finalement, c'est Guillaume Bardet qui a été retenu pour le mobilier liturgique, et Ionna Vautrin pour les chaises, notamment celles destinées aux fidèles. Guillaume Bardet est un designer français qui avait notamment travaillé au Couvent de la Tourette en 2017, sur une œuvre intitulée La Fabrique du présent, la scène. Cette œuvre s'intéressait au dernier repas du Christ, une manière pour Guillaume Bardet d'aborder déjà une question spirituelle.
À l'invitation du frère Marc Chauveau, Guillaume Bardet avait également dessiné un calice, une patène et une grande croix. Son style utilise des objets du quotidien : coupe, jarre, table. Il part de leur forme et de leur image pour les travailler à travers des matériaux précieux, les amenant à ce qui confine à l'immuable, à l'éternel, presque hors du temps.
C'est ce qu'il a fait à Notre-Dame, en allant chercher ces éléments, il les a emmenés pour qu’ils parlent aux catholiques mais également aux nombreux visiteurs non chrétiens de ce lieu.
Et donc, à l'entrée de la cathédrale, frère Charles, il y aura un baptistère. Je crois que c'est quelque chose de nouveau ?
À l’entrée de Notre-Dame, c’est effectivement un baptistère nous accueillera. Le baptême, c'est ce par quoi nous devenons chrétiens. Nous entrons dans la grande Église, et ici, ce sera une manière d'entrer dans cette église cathédrale. Par le baptême, on passe de la mort à la vie, on traverse les filets de l'esclavage, un peu comme Moïse et le peuple hébreu qui sortent d'Égypte pour atteindre, à travers les eaux, la Terre promise.
Aujourd'hui, dans une société déchristianisée, remettre le lieu du baptême à l'entrée d'une cathédrale a beaucoup de sens. C'est le premier grand exemple de ce type au XXIe siècle. On peut se rappeler cette formule de Tertullien : « On ne naît pas chrétien, on le devient. »
Le baptistère, une grande cuve, généreuse et solennelle, en bronze sombre, dialoguant de façon frappante avec la pierre claire de la cathédrale restaurée. Sur cette cuve, un couvercle, dans le même bronze, mais traité en poli miroir. Ce couvercle, brillant et lumineux, forme comme une rivière agitée, d'où émerge une croix. Là encore, tout un symbole.
Et dans l'axe, l'autel au centre. Qu'en est-il de cet autel ?
L'autel, situé au centre du sanctuaire, est entouré comme un triptyque : d'un côté, l'ambon, le lieu où est proclamée la Parole de Dieu, et de l'autre, la cathèdre, le siège de l'évêque.
Cet autel est assez différent de celui de Jean Touret, qui existait auparavant et que j'aimais beaucoup. En même temps, il donne toute sa puissance par la simplicité de ses formes. Il entre en dialogue, par sa courbe, avec le baptistère qui est à l'entrée de la cathédrale.
Il est placé à la croisée du transept, à la rencontre des fidèles. À la fois autel du sacrifice, oui, mais surtout, table des noces éternelles.
Et, puis autour de l’autel, l’ambon et la cathèdre...
L'ambon est également tout à fait intéressant. Il a une forme en T, comme la croix, mais ce T se déploie en livre, un livre ouvert. Un petit détail que je trouve remarquable est que l'élément de bronze est très légèrement décollé du sol de la cathédrale. Cela nous dit que ce n'est pas un simple pupitre, mais un lieu où la Parole de Dieu est proclamée et donnée. Cette arole elle nous décolle, nous élève, elle nous amène plus haut, elle a un goût du Ciel.
Puis vient la cathèdre. La cathèdre n'est pas un siège quelconque : c'est le siège de l'évêque, qui a même donné son nom à l'édifice, cathèdre, cathédrale. C'est là que l'évêque prend place, et cela exprime sa dignité particulière, lui qui est le pasteur, le responsable de l'Église locale, ici l'Église de Paris. D'ailleurs, à Paris, c'est même un archevêque.
Comment Guillaume Bardet dialogue-t-il avec les œuvres des autres artistes déjà en place ?
Tout au bout de la cathédrale, dans l'abside, se trouve une très belle Pietà de Nicolas Coustou. Au-dessus, il y a la grande croix de gloire de Marc Couturier, réalisée en 1994. Cette croix est entrée dans l'histoire : le soir de l'incendie, on a pu la voir entourée des décombres fumants de la charpente, comme encensée dans ce décor irréel. Cela avait quelque chose de très émouvant.
Au pied de cette croix, Guillaume Bardet a installé un tabernacle. Un tabernacle étonnant et assez ingénieux qui rappelle l'étymologie du mot, "tente". Il fait une tente qui s'ouvre comme un livre. À l'intérieur, on découvre le ciboire, le lieu qui contient les hosties consacrées, le Saint-Sacrement. L'intérieur du tabernacle est en poli miroir, baignant ce lieu dans une lumière particulière.
Merci, frère Charles. Nous comprenons mieux en t'écoutant que, du baptême à la croix, en passant par l’autel, c’est tout le mystère de notre foi qui se déploie. Nous, qui sommes sauvés par la mort et la résurrection du Christ.
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