5. L’Évangile, une Parole à vivre !
« Quand nous nous référons au mystère eucharistique et qu'une miette de pain tombe, nous nous sentons perdus et quand nous écoutons la Parole de Dieu, c'est la Parole de Dieu et le Corps et le Sang du Christ qui tombe dans nos oreilles et nous pensons à autre chose. »
Ces mots puissants de saint Jérôme, grand bibliste, nous font comprendre que pour lui Dieu est autant présent dans la parole, l'Évangile entendu aux célébrations de chaque eucharistie, que dans le pain et le vin consacré. Effectivement pour nous, l'Évangile, c'est souvent une rencontre que nous faisons à la messe et pour mieux comprendre comment la liturgie peut nous aider à faire de l'Évangile entendu une bonne nouvelle pour nos vies aujourd'hui, je suis allé rencontrer le père Olivier Praud, spécialiste de liturgie.
Frère Franck Dubois : Père Olivier, bonjour.
Père Olivier Praud : Bonjour.
Frère F.D. : Alors, père Olivier, est-ce qu'on a toujours lu l'Évangile pendant la messe ?
Père O.P. : L'Écriture a toujours tenu une place particulière dans la liturgie de l'Église, parce que dès les premiers siècles, les premiers chrétiens vont méditer l'Écriture sainte. Ils vont l'entendre, la proclamer, l'écouter, prier avec. Et bien sûr, les évangiles, lorsqu'ils vont être écrits, vont tenir une place particulière dans la prière de l'Église, jusqu'à devenir le récit et la mémoire centrale de l'Église puisque à travers l'Évangile, eh bien, c'est la mémoire de la mort et de la résurrection du Christ que nous entendons.
Frère F.D. : Et donc, il y a un lien logique entre mémoire de la mort et de la résurrection du Christ et l'Eucharistie…”
Père O.P. : Bien sûr ! Parce que les deux sont évidemment intimement liés au point de représenter finalement les deux facettes d'une même réalité. Quand nous célébrons le mystère pascal du Christ, nous le célébrons en écoutant le récit de sa passion en étant plongés dans l'expérience de la foi des premiers chrétiens qui vivent de la Résurrection, et puis ensuite nous en recevons les fruits dans le sacrement lui-même, pour en vivre à notre tour.
Frère F.D. : Alors, est-ce que la messe est finalement l'accomplissement de la lecture de l'Évangile ou de la réception de l'Évangile ?”
Père O.P. : En fait, c'est une grande architecture la messe, qui nous fait finalement partir de notre existence dans laquelle va raisonner la Parole de Dieu, dont l'Évangile est évidemment pour nous le moment le plus intense et c'est bien pour cela qu’à la fin de la proclamation de l'Évangile, eh bien celui qui la proclame, le diacre le plus souvent, va dire “acclamons la Parole de Dieu” et tous vont répondre « louange à Toi Seigneur Jésus », c'est-à-dire, toi qui viens de nous parler ; car depuis toujours, lorsque nous nous mettons à l'écoute de l'Évangile, c'est le Christ lui-même qui nous parle et finalement cette parole que nous avons entendue, elle veut transformer notre existence et pour cela elle va devenir notre nourriture, elle va devenir ce sacrement de communion intense avec le Seigneur, au point que sa présence devient d'une certaine façon sensible à nos yeux, à nos lèvres, à nos mains et finalement, à toute notre vie.
Frère F.D. : Au fond, on a le sentiment que l'Évangile appelle toujours une mise en œuvre, une incarnation et que les sacrements et la liturgie en général, sont là pour nous donner les moyens finalement de cette réalisation, de cette incarnation.
Père O.P. : Oui ! Parce que la liturgie et les sacrements, bien sûr, nous font entendre l'Évangile mais ils ne nous le font pas entendre simplement comme une parole d'autre fois, comme une parole comme une forme de conte ou une forme d'histoire qu'on raconte pour endormir les enfants le soir. Non ! La liturgie nous fait entendre cette parole comme Dieu lui-même qui s'adresse à nous, c'est-à-dire comme une parole vivante ! Et d'une certaine façon nous sommes quelque part « convoqués » à entrer en dialogue avec Dieu. D'où, pourquoi dans toute liturgie, les dialogues entre celui qui préside à la prière et l'assemblée qui est là, sont décisifs, pour bien rappeler que nous avons foi en un Dieu qui parle, en un Dieu qui veut entrer en dialogue avec les hommes. Comme le dit le début encore de la constitution sur la révélation divine : « Dieu veut parler aux hommes comme à des amis pour les introduire en sa communion. » Voilà peut-être finalement la mission propre de l'Évangile : c'est de nous rappeler que Dieu nous parle, mais pas simplement pour faire du blabla mais pour nous faire entrer en sa communion, sa communion intime, celle qui tient le Père et le Fils dans l'Esprit qui les unit”.
Frère F.D. : Finalement, à vous entendre, les sacrements, la liturgie en général nous permettent d'entrer dans le mystère même de Dieu qui est celui de la Trinité”.
Père O.P. : Exactement, tout à fait, c'est à dire que l'objectif de la liturgie, c'est de s'accomplir en charité, en Caritas, et on sait bien que cette Caritas, c'est ce qui désigne au plus haut point l'identité même de Dieu mais de l'autre côté, son versant immédiat, c'est que cette Caritas doit se manifester comme charité, c'est à-dire comme service des petits, des pauvres et comme l’annonce l'Évangile, c'est en quelque sorte se précipiter de cette Caritas de Dieu dans le monde que nous recevons à chaque liturgie, évidemment au plus haut point à chaque eucharistie, pour pouvoir le partager avec les autres.
Frère F.D. : L'Évangile comme concentré de la charité, merci, Père Olivier.
Père O.P. : Merci.
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L’Esprit dit à Philippe : « Avance et rattrape ce char ». Philippe y courut et il entendit que l’eunuque lisait le prophète Isaïe. Il lui demanda : « Comprends-tu donc ce que tu lis ? » « Et comment le pourrais-je, dit-il, si personne ne me guide ? » Et il invita Philippe à monter et à s'asseoir près de lui. Philippe prit alors la parole et partant de ce texte de l'Écriture, lui annonça la Bonne Nouvelle de Jésus.
Cette scène nous fait comprendre que pour entrer dans l'intelligence des écritures, il faut être guidé. Ici, Philippe guide l’eunuque et, détail important, c'est l'Esprit qui envoie Philippe à la rencontre de l'eunuque.
L'Esprit Saint est toujours celui qui aide des chrétiens réunis ensemble à comprendre l'Écriture. Nous entendons aussi dans ce récit que l’eunuque lit un texte du prophète Isaïe et pourtant, avec l'aide de Philippe, il reconnaît la Bonne Nouvelle de l'Évangile dans ce texte de l'Ancien Testament. Nous l'avons vu ensemble, l'Évangile dépasse en vérité les quatre évangiles reçus dans le Nouveau Testament. La Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, déjà, s'exprime dans l'Ancien Testament pour ceux qui arrivent à lire la présence du Christ dans ces récits prophétiques.
Nous allons maintenant voir à l'image de Philippe et l’eunuque, comment aujourd'hui dans l'Église, des groupes bibliques, des groupes de partage de la lecture continuent cette ancienne tradition : lire à plusieurs la Bible, aidés par l'Esprit Saint, pour mieux comprendre comment Jésus nous parle aujourd'hui dans l'Écriture et dans l'Évangile.
Nous allons le faire avec Danièle qui depuis des années, pratique la lecture de l'Écriture en petit groupe :
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Danièle : Lire la Bible est un exercice qui est exigeant. S'y aventurer tout seul est quelquefois un petit peu risqué et on peut s'y égarer. Lorsqu'on a commencé à la lire avec mon mari, nous avons commencé seuls. Nous avions vu une statistique en 2001 qui disait que 72 % des Français ne lisent jamais la Bible et parmi ceux qui la lisent, 24 % seulement la lisent en groupe. Ça nous a paru paradoxal puisque nous disions que la Bible était a priori destinée à une population plutôt importante. C'est la raison pour laquelle nous avons souhaité intégrer un groupe biblique et nous nous sommes vite aperçus que c'était un excellent moyen de la découvrir, pour plusieurs raisons. Tout d'abord, il y a la vertu du rendez-vous : le fait d'intégrer dans son agenda un rendez-vous, finalement pour le Seigneur, où on se déplace, on va rencontrer d'autres personnes, pour essayer de comprendre ce que veut nous dire cette Parole. Nous sommes une religion de la Parole, Jésus s'est fait chair, les textes ont leur origine dans la communauté du peuple de Dieu. Donc cheminer avec un groupe biblique prenait tout à fait son sens, et je pourrais même dire que la lecture en groupe constitue le biotope naturel de la Bible, parce qu'il y a une rencontre et ceci est très, très important.
Comment se passe, rapidement, la lecture commune ? Alors, nous nous asseyons, on prend un petit moment de pause, nous prions, pour laisser les tracas du quotidien de côté. Et là, commence vraiment la lecture, et là, je dirais qu'il y a des analyses, des approches différentes, des déclics, un dynamisme, la parole qui devient vivante. En fait, il y a une communion dans le groupe et cette rencontre se fait avec les membres du groupe. Le Seigneur est également présent dans ce groupe, ça se sent très nettement, et le Seigneur nous parle à travers l'autre. La richesse, la communion, la communauté que nous formons, nous permettent de cheminer, je pense, dans une intelligence de la foi.
Et comme il est écrit dans Matthieu au chapitre 7, verset 7 : « Cherchez, vous trouverez. » Effectivement, lorsque nous sommes en groupe, j'ai l'impression que nous cheminons ensemble, avec la profonde espérance que le Seigneur est avec nous.
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« Le saint concile exhorte de façon insistante et spéciale tous les chrétiens et notamment les membres des ordres religieux, à apprendre par la lecture fréquente des divines écritures, la science éminente de jésus Christ. En effet l'ignorance des écritures, c'est l'ignorance du Christ. »
Le concile que nous venons d'entendre dans sa constitution Dei Verbum, sur la Parole de Dieu, nous rappelle que la parole n'est pas destinée seulement aux prêtres, aux diacres ou aux catéchistes ; mais à tout fidèle, tout baptisé, tous ceux qui veulent s'approcher du Christ. Pour eux, la lecture de l'Écriture, et singulièrement de l'Évangile, est une nécessité qui s'impose, parce qu'ignorer l'Écriture, c'est ignorer le Christ.
Depuis le concile Vatican II, l'Église catholique a beaucoup œuvré pour que l'Écriture soit remise dans les mains des fidèles et qu'ils se l'approprient. Nous l'avons vu avec la liturgie, nous l'avons vu avec les partages Bibliques, et nous le voyons enfin avec une expérience de lectio divina, de lecture continue de l'Évangile, menée par des étudiants :
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Blandine : Alors, cette année, j'ai fait l'expérience de lire en entier un évangile, l'évangile de saint Marc. C’est la première fois. L’Évangile, c'est vraiment se plonger dans la vie de Jésus et comprendre qu’en fait, il est là avec nous, tous les jours de notre vie, mais de manière concrète.
Parfois la Bible, l'Évangile, ça peut nous paraître un peu abstrait dans notre foi et on se rend compte qu’on a un outil, la Bible et les évangiles qui nous permettent de mieux connaître Jésus et de sentir qu'il est avec nous tous les jours de notre vie et ça change vraiment, je pense, le regard sur la foi. Ça nous fait grandir parce qu’on peut passer à côté de tellement de choses si on ne lit pas l'Évangile. Il est vraiment nécessaire d'en lire un en entier. Ça change de ce qu'on peut voir, entendre à la messe où c'est de manière périodique. Là, quand on le lit en entier, ça donne du concret dans sa foi et on sent qu'on a Jésus avec nous tous les jours. Ça donne un peu de boost aussi !
Cela dit, il ne suffit pas de lire l'Évangile en entier et de s'arrêter là : un prêtre m'a dit qu’on commençait à lire un évangile que quand on le relisait ! En fait, c'est vrai que relire, ça permet de comprendre certaines choses qu'on n’avait pas forcément comprises ou vues. Il ne faut surtout ne pas s'arrêter, il faut continuer à lire, travailler, écrire sur sa Bible, vraiment se l'approprier, vivre quotidiennement avec l'Évangile. Il nous est donné et c'est tellement dommage de passer à côté ! Si je pouvais donner un message : « Plongez-vous dans l'Évangile ! »
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« Il y a encore bien d'autres choses que Jésus a faites. Si on les mettait par écrit une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres qu'on en écrirait ». C'est la finale de l'Évangile selon saint Jean. Ensemble, pendant ce parcours, nous avons vu que l'Écriture venait de loin. L'Écriture, l'Évangile, la Bonne Nouvelle du Christ, est déjà en prémices dans l'Ancien Testament, mais ce sont bien sûr les quatre évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean qui nous révèlent la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ.
Nous avons vu ensemble que cet Évangile était, depuis les origines, porté par l'Église ; que l'Église en avait été la genèse et que, par les Apôtres, l'Église a répandu cette Bonne Nouvelle dans le monde entier. Ce travail de transmission, de traduction, continue jusqu'à aujourd'hui dans des nouvelles terres où l'Église s'implante.
Pour s'approprier cet Évangile, nous avons vu que la liturgie était un outil essentiel, la célébration de la Messe en particulier, mais que l'Évangile aussi aimait à se faire partager dans des groupes bibliques, et dans une lecture plus personnelle : la lectio divina.
Comme nous le rappelle saint Jean, l'Évangile dépasse et de loin, les frontières des quatre livres évangéliques. L'Évangile continue à s'écrire, de quelques manières, dans nos vies, pour ceux et celles qui s'en inspirent, méditant l'Écriture, la partageant, la célébrant.
À vous de jouer maintenant à partir des quatre évangiles, d'écrire pour ainsi dire, votre bonne nouvelle, votre parcours de vie avec le Christ, pour que ces lettres ne restent pas mortes mais prennent vie dans vos vies. C'est la joie d'être chrétien, c'est la joie de suivre, en disciple, la Bonne Nouvelle du Christ.
C'est cette joie que nous continuerons ici à Théodom à partager avec vous.
frère Franck Dubois
Ancien élève de Science Po Paris, frère Franck a vécu de longues années au couvent de Lille, où il s'est spécialisé dans les Pères de l’Église. Il a obtenu un doctorat es patrologie au Centre Sèvres. En 2020, il est père maître des novices à Strasbourg, où il enseigne aussi la théologie à l'université. Il a publié sa thèse : "Le corps comme un syndrome" (Cerf, 2018) et quelques ouvrages plus accessibles tels que : "Attention, chute d'anges" (Cerf, 2021) et "Pourquoi les vaches ressuscitent (Cerf, 2019).
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