4. Marie, une simple mortelle qui enfante Dieu
Marie, Mère de Dieu ?
Comment peut-on imaginer qu’une femme, une terrienne – une créature de Dieu, donc ! – ait pu sécréter la divinité de son enfant ? Allons allons : le créé ne peut pas produire l’incréé, comme le moins ne peut pas produire le plus, ni les ténèbres la lumière !
Pourtant, depuis des siècles, les chrétiens appellent Marie : « Mère de Dieu » (dans le « Je sous salue Marie », on dit : « sainte Marie, Mère de Dieu… »). Alors, l’Église permet-elle que la prière répète indéfiniment de telles erreurs ?
Nous sommes au début des années 430. Une controverse éclate autour des enseignements de l’évêque de Constantinople, Nestorius. Depuis longtemps, les chrétiens de langue grecque appellent Marie « Mère de Dieu », la Theotokos. On a retrouvé un papyrus égyptien, daté du IIIe ou du IVe siècle, sur lequel est écrite la plus vieille prière à Marie : « Sous l’abri de ta miséricorde, nous nous réfugions… sainte Mère de Dieu »).
Nestorius n’admet pas cette expression. Selon lui, Marie ne peut pas être la « Mère de Dieu », celle qui a « enfanté Dieu » (c’est ce que veut dire littéralement le mot grec Theotokos). Car on affirmerait alors que Marie est une sorte de déesse mère, comme dans la mythologie, qui a mis au monde un petit, et ce petit est alors un autre Dieu…
En outre, comme Marie est une créature, elle ne peut pas avoir produit la divinité de son Fils. Seul Dieu peut engendrer Dieu. C’est d’ailleurs ce qui se passe éternellement dans la Trinité : le Père engendre le Fils dans la communion de l’Esprit Saint. Marie, elle, n’est pas Dieu. Elle n’a donc pas la capacité d’enfanter Dieu.
La christologie de Nestorius
À vrai dire, le problème que soulève Nestorius ne porte pas directement sur Marie. Il porte sur Jésus. Dire que Marie n’est pas la Mère de Dieu revient à dire que Jésus n’est pas Dieu.
Dès le début du christianisme, en effet, des groupes de chrétiens refusent d’admettre la divinité de Jésus.
Dans cette ligne, on trouve l’adoptianisme. Jésus n’est qu’un homme, mais un homme « adopté » par Dieu – comme l’empereur romain, à cette époque-là, adopte un fils et lui confère un rang royal. Jésus serait devenu fils de Dieu, il serait devenu Dieu, d’homme qu’il était.
Les « adoptianistes » pensent en général que c’est au moment du baptême de Jésus que Dieu l’a adopté.
Nestorius a une approche beaucoup moins grossière du mystère du Christ. Mais le nestorianisme érode, lui aussi, la divinité de Jésus.
Pour Nestorius, Marie ne peut pas être la Mère de Dieu ; elle ne peut être que la mère de l’homme Jésus. On peut éventuellement l’appeler « Christotokos », celle qui a porté le Christ, et l’a mis au monde, mais pas « Theotokos ». Pourtant, cet homme qui est né de Marie a un destin exceptionnel, puisqu’il est uni au Verbe de Dieu depuis sa venue au monde.
La base du schéma de Nestorius, c’est la « conjonction ». Pensez aux « conjoints ». Deux personnes distinctes qui sont unies moralement, comme dans un mariage, qui s’entendent à merveille, au point d’aller toujours dans le même sens.
L’idée de Nestorius, on peut se la représenter sous la forme d’un tandem. Sur un même vélo, deux personnes pédalent dans le même sens. Ce vélo, pour Nestorius, ce serait le Christ. Les deux personnes qui avancent ensemble, ce seraient l’homme Jésus de Nazareth, d’une part, et, d’autre part, la deuxième personne de la Trinité, le Fils de Dieu. Bref, deux personnes dans le Christ, ou, pour parler comme les Grecs, deux « hypostases ».
Et c’est là que Nestorius déraille ! Le Christ n’est pas la conjonction de deux personnes. Pour l’Église, la foi reçue des apôtres confesse une seule personne dans le Christ, même si elle confesse deux natures dans le Christ, la nature divine du Fils éternel de Dieu, et la nature humaine que le Fils de Dieu a assumée dans le sein de Marie.
La réponse de Cyrille d’Alexandrie.
La résolution du problème va venir d’Égypte, où l’on s’émeut de ce qui se passe à Constantinople. C’est l’évêque d’Alexandrie, Cyrille, qui va apporter la solution théologique.
Le schéma de Cyrille repose sur l’explication suivante. Le Fils de Dieu subsiste personnellement dans la nature divine de toute éternité, n’est-ce pas ? Il est consubstantiel au Père. Il repose dans le sein du Père tout en étant distinct du Père. Eh bien, dans l’Incarnation, cette même Personne divine, tout en subsistant éternellement dans la nature divine, va commencer à subsister dans la nature humaine.
Une seule personne, donc, la même : le Verbe de Dieu. C’est à ce niveau-là, au niveau de la Personne du Verbe, que la christologie se noue en profondeur. Ce n’est pas le Père qui s’est incarné. Ce n’est pas l’Esprit Saint qui s’est incarné. Ce n’est pas la nature divine qui s’est incarnée. C’est la personne du Fils, le Verbe de Dieu, celui par qui toute chose est venue à l’existence !
Bref, si je reprends l’image du vélo, ce n’est pas d’un tandem qu’il s’agit. Il n’y a pas deux personnes sur le vélo. Il n’y en a qu’une : le Verbe de Dieu.
L’union hypostatique
Cyrille explique que les natures divines et humaines sont unies « selon l’hypostase » du Fils. C’est ce que les théologiens appellent l’« union hypostatique », ou, si vous préférez parler latin, l’union selon la Personne, l’union dans la Personne.
Dans le cas du Christ, le vélo est uni à la personne du cycliste d’une façon tellement inouïe qu’ils ne sont plus séparables. En Jésus, le cycliste – Dieu le Fils – fait corps avec le vélo – la nature humaine. Le Verbe s’est approprié le vélo d’une telle façon qu’on pourrait dire que le vélo est intégré au cycliste ! Il ne fait plus qu’un avec le cycliste. Pourtant, le vélo reste un vélo, le cycliste reste un cycliste. De même, dans le Christ, la nature humaine reste la nature humaine, avec un corps, une âme, une intelligence, une volonté, un libre-arbitre ; la Personne divine reste une Personne divine. Mais c’est bien cette personne-là, le Verbe de Dieu, qui s’est approprié l’humanité du Christ.
Conclusion : retour à Marie
La lettre de Cyrille à Nestorius sera lue et acclamée quelques mois plus tard au concile d’Éphèse, en 431. Désormais, tout chrétien devra confesser que Jésus, tout en étant « vrai homme », n’est pas quelqu’un d’autre que Dieu le Fils en personne.
Autrement dit : Dieu le Fils est né de Marie. Lui qui est engendré de toute éternité en Dieu, il a reçu de Marie, un jour, notre humanité. Bref, Marie est bien la « Mère de Dieu », puisque le petit garçon qu’elle a mis au monde dans la crèche n’est pas quelqu’un d’autre que Dieu le Fils.
frère Sylvain Detoc
Frère Sylvain Detoc est docteur ès lettres et docteur en théologie. Il est frère de la province de Toulouse, il enseigne à l'Institut Catholique de Toulouse. Il a publié plusieurs ouvrages : Déjà brillent les lumières de la fête (Cerf, 2023), La Gloire des bons à rien (Cerf, 2022) et Petite théologie du Rosaire (éditions de La Licorne, 2020).
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